12.11.2024, Sandra Imsand / À Meyrin (GE), le client mystère a considéré la promotion du partenariat comme très voyant. Photos: FRC
Conforama mène en ce moment une grosse opération avec une entreprise de courtage. Des bons cadeaux de centaines de francs sont proposés en échange de rendez-vous à domicile. Un jeu dangereux.
La promesse d’un bon cadeau considérable fait tourner les têtes. Le courtier propose entre autres des assurances-maladie. Avec cette méthode, il échappe à la nouvelle interdiction du démarchage à froid. Où finiront les données des clients une fois l’offre terminée ?
Récemment, lors d’une visite chez Conforama, plusieurs clients ont eu l’œil attiré par des affichettes déposées dans certains rayons du magasin promettant les «livraison et montage gratuits de vos meubles». Le concept? Lors de l’achat d’un meuble, le client se voit proposer la visite à domicile d’un employé de la société Wefox. Après cet entretien, il reçoit un bon cadeau chez Conforama équivalent à la valeur de la livraison et du montage, valable un an. Un voucher qui peut grimper à 750 francs, selon le flyer de publicité.
Qui est Wefox? Une start-up suisse, installée à Berlin et active dans différents pays, spécialisée dans le courtage et l’assurance numérique, qui employait 600 personnes en 2021, selon Le Temps. La société offre aussi bien des produits d’autres compagnies que les siens propres, dans différents domaines, dont l’assurance-maladie.
Une opération partout en Suisse
En résumé, Conforama propose la visite d’un courtier en échange d’un bon cadeau, un grand écart entre ameublement et assurances. Plutôt gênant, d’autant plus en cette période d’intense démarchage téléphonique. Du côté du discounter, on confirme que la collaboration avec Wefox court depuis 2022 et que l’opération se déroule actuellement dans toutes les succursales.
La FRC a fait appel à ses enquêteurs de terrain pour savoir comment la prestation est présentée dans les divers magasins du groupe et la façon dont les employés vantent ce service de courtage. Six visites ont été menées dans quatre succursales réparties dans trois cantons romands (Genève, Fribourg et Vaud) durant octobre. Nos clients mystères ont observé les rayons et ont fait mine de s’intéresser à un meuble afin d’obtenir plus de détails.
La somme promise sous forme de bon cadeau pour accepter un rendez-vous avec un courtier est comprise entre 100 à 750 francs.
En général, leur retour montre que le conseil a été jugé plutôt compétent et sympathique. Plusieurs employés de Conforama ont partagé leur expérience personnelle avec Wefox, et aucun enquêteur n’a estimé avoir été pressé pour accepter l’offre. Le fait de recevoir le conseiller chez soi (ou dans un lieu de son choix) et d’écouter le courtier «déclenche» la remise du bon par les soins de ce dernier. Et tous les employés ont bien précisé qu’il n’était pas nécessaire de souscrire une assurance ni de signer un contrat pour obtenir le bon cadeau.
La durée de l’entretien? Selon les informations fournies à nos clients mystères, entre 20 minutes et deux heures, mais la plupart des vendeurs parlent de 30 à 40 minutes et insistent sur le fait de bien préparer ses documents avant le rendez-vous. Durant la visite, disent-ils, le courtier épluche les différentes polices, que ce soit dans le domaine des assurances-maladie, RC, habitation, 3e pilier, voiture, etc. et propose de nouveaux produits.
Parfois discrète, parfois ostentatoire
La FRC a observé que deux offres distinctes pour cette opération circulent en parallèle dans un même point de vente, provoquant une certaine confusion. D’une part, le remboursement du montage et de la livraison sous forme de bon cadeau jusqu’à hauteur de 750 francs; d’autre part, la remise d’un voucher de 100 francs contre un rendez-vous, sans obligation d’achat chez Conforama. L’enquêteur qui s’est rendu à Meyrin (GE) a même constaté que le remboursement du montage/livraison pouvait grimper jusqu’à 1000 francs. Renseignement pris auprès du discounter, il s’agit d’une ancienne affiche, retirée depuis.
«L’offre est présentée comme un bon plan. Le client ne réalise pas que ses données valent bien plus d’argent qu’il n’imagine.» Sandra Imsand, responsable Enquêtes
La majorité des enquêteurs ont jugé la visibilité de cette offre plutôt discrète. À Granges-Paccot (FR), notre enquêteur a toutefois relevé une publicité pour l’opération diffusée régulièrement sur une des télévisions du magasin. Ce n’est qu’à Meyrin que notre client mystère a considéré l’information comme très voyante. En plus du spot sur écran et des flyers déposés sur presque tous les meubles de la succursale, c’est en effet le seul point de vente où de grandes affiches étaient suspendues du plafond.
Un bon, un resto?
Pas de pression à signer, une visibilité pour la collaboration plutôt réduite: il n’y a donc pas de problème? Pas si simple. En effet, la promesse d’un bon cadeau à la somme importante fait tourner les têtes. Si beaucoup de clients sont «plutôt dubitatifs à la base», la majorité «accepte finalement pour avoir le bon», a expliqué ce vendeur de Conforama Bussigny (VD). Une information confirmée par une des employées de la succursale de Granges-Paccot: «Les gens accueillent plutôt froidement l’offre, mais finissent par passer quand même à l’acte.» Elle a insisté sur les «avantages» d’accepter cette offre: «Cela vous permet de vous offrir un restaurant.» Une autre a déclaré qu’accepter ce bon, c’est une façon de profiter à son tour du système général des courtiers, «qui ne sont pas toujours honnêtes».
Des arguments tout en douceur qui font mouche: selon les informations récoltées par les enquêteurs, un samedi, ce sont 50 à 60 rendez-vous qui sont pris auprès de Wefox dans chaque succursale. Si l’entreprise explique que la rencontre a «généralement lieu dans une à deux semaines suivant la prise de contact», pendant l’enquête, les créneaux les plus rapprochés se situaient plus d’un mois après nos visites à Granges-Paccot et Bussigny.
100 000, soit le nombre de rendez-vous pris dans le cadre du partenariat Conforama-Wefox.
Opération à succès
De son côté, Conforama qualifie la coopération de «très réussie». Wefox, pour sa part, dit «collaborer avec beaucoup de succès» et indique même que, dans le cadre de ce partenariat, «bien plus de 100 000 rendez-vous ont été pris». En sachant qu’un rendez-vous est «payé» au minimum 100 francs par client, l’opération a «coûté» au moins 10 millions en bons cadeaux aux principaux intéressés, selon une répartition tenue secrète. Il y a fort à parier que, financièrement, ce partenariat est très rentable. Si un rendez-vous sur dix débouche sur la signature d’un contrat, on imagine aisément l’ampleur du business généré par cette collaboration. Aussi bien Conforama que Wefox écrivent que «toutes les dispositions relatives aux contrats et à la protection des données sont absolument respectées» mais refusent de livrer des informations «sur le succès économique de ce partenariat ou sur d’autres détails à ce sujet».
Ce que taisent également les deux entreprises, c’est ce qui se passe ensuite avec les milliers de coordonnées récoltées dans le cadre de l’opération. En effet, Conforama enregistre les noms, prénoms, adresses et numéros de téléphone et les transmet directement à Wefox, qui gère ensuite la prise de rendez-vous. Une fois l’offre terminée, dans quelques semaines, mois, années, les courtiers recontacteront-ils les potentiels clients? Les données ainsi récoltées sont-elles partagées avec les assurances partenaires de Wefox? Sont-elles revendues ailleurs? La société n’a pas souhaité répondre à ces questions. La FRC l’encourage pourtant vivement à faire preuve de plus de transparence dans ce domaine. En effet, si ce partenariat a pour résultat par la suite de voir des personnes se faire harceler de téléphones et de contacts pour souscrire des assurances chères, inutiles et non désirées, c’est vraiment scandaleux. D’autant plus que la clientèle de Conforama n’est pas protégée par la récente ordonnance qui régule l’activité de courtage et interdit le démarchage téléphonique à froid, car elle a accepté un bon cadeau. «Je trouve assez déplorable que des courtiers en arrivent là», soupire une enquêtrice après sa visite. On ne peut qu’être d’accord.