3.7.2018, Anne Onidi - Coll. Barbara Pfenniger et William Lacroix
Notre enquête au long cours sur 108 aliments met en évidence certains efforts des industriels pour saler moins. Mais bien du chemin reste à faire.
Les Suisses mangent trop de sel et c’est mauvais pour leur coeur. En cause, le sodium dont est constitué le sel de cuisine qu’il convient de limiter à 2 grammes par jour (lire encadré ci-dessous). C’est cet élément qui contribue à l’hypertension artérielle ainsi qu’à un risque accru des maladies cardiovasculaires et d’accidents vasculaires cérébraux. Tout comme l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires (OSAV) recommande de ne pas consommer plus d’une cuillerée à café quotidienne de sel de cuisine, soit 5 grammes par jour. Or les Helvètes en ingèrent le double.
L’instinct inciterait à mettre la salière dans une armoire fermée à double tour. Alors oui, saler moins est évidemment essentiel pour limiter sa consommation. Néanmoins, les études fournissent un éclairage qui module la donne: le sel que les Suisses consomment provient environ aux trois quarts des aliments transformés tels le pain, le fromage, les plats préparés, la charcuterie, etc. Autrement dit, des aliments sur lesquels le consommateur a peu de prise. Il y a donc un intérêt de santé publique à ce que les industriels salent moins leurs préparations. Certains s’y sont engagés (lire encadré ci-dessous) en souscrivant à un programme de la Confédération, une Stratégie sel.
Pour vérifier les effets concrets de ces engagements, nous avons, en 2012, sélectionné une centaine de produits vendus chez Aldi, Coop, Globus, Lidl, Manor et Migros. Quelles variations observons-nous six ans après? Quels produits choisir pour manger moins salé et dans quelles enseignes les trouver? Tel est le propos de ce dossier.
Un repas principal ne devrait pas apporter plus de 2,5 g de sel par personne.
Premier constat de cet examen minutieux: l’étiquetage nutritionnel entre plus largement dans les moeurs. Alors qu’en 2012 la teneur en sel (ou sodium) figurait sur 73% des produits, aujourd’hui 89% des emballages sont concernés. Restent des lacunes dans l’étiquetage des cervelas (4 sur 10 n’offrent pas l’information) et des pains mi-blancs (2 sur 6). D’autres produits de Denner (2), Lidl (2) et Globus (2) s’abstiennent également d’indiquer le taux de sel. C’est d’ailleurs Globus qui totalise le plus haut taux d’omissions. Les fabricants ont jusqu’à 2021 pour corriger le tir.
Coop double vainqueur
C’est chez Coop que nous avons acheté le plus de produits avec des seuils bas en sel pour chaque catégorie, soit 7 au total. Suivent Manor et Lidl (4 chacun). A l’inverse, nous avons trouvé les aliments les plus chargés de leur catégorie chez Manor (7), Migros (6) et Aldi (4). De manière globale, les distributeurs, hormis Globus et Manor, voient une réduction microscopique de la teneur en sel de leur assortiment par rapport à 2012: en moyenne 0,089 g en moins par 100 g de produit, l’équivalent d’un grain de gros sel! Chez Coop, 15 produits en contiennent moins qu’il y a six ans alors qu’ils sont 11 chez Migros et 9 chez Lidl. C’est d’ailleurs chez ce discounter que le pourcentage de produits ayant subi une diminution est le plus élevé: près de 70% d’aliments sont concernés. A l’opposé, Aldi propose 9 produits avec un taux plus élevé et n’offre en revanche aucune denrée moins salée qu’il y a six ans.
Bio, du meilleur au pire
Les aliments estampillés bio sont-ils aussi plus doux pour la santé cardiovasculaire? D’un point de vue réglementaire, la réponse est non, car rien n’oblige les fabricants à saler moins les préparations dotées d’ingrédients biologiques. Dans les faits, nos observations sur trois catégories de produits démontrent de grands écarts.
Les deux corn-flakes bio (Globus organic et Manor bio natur plus) sont, avec 2,4 g *, de loin les plus salés de la sélection. Les pétales de maïs de Lidl contiennent eux 3 fois moins de sel! Autre produit, scénario identique: sur les 7 pizzas au jambon examinées, la seule bio, de Manor, se distingue par son taux plus élevé, avec moins de marge, cette fois: 1,6 g contre 1,25 g pour la moins salée. Enfin, retournement de situation pour les sauces tomate, puisqu’ici c’est la préparation bio de Coop naturaplan qui obtient la palme du coulis le moins salé (0,1 g contre 1,4 g pour le pire).
Malgré le peu d’exemples à disposition, on peut toutefois conclure qu’un label bio ne garantit pas un article moins salé et que l’examen des étiquettes s’impose dans tous les cas.
Aucun prix auquel se vouer
A l’opposé, les produits à prix bas des gammes Prix Garantie (Coop) et M-Budget (Migros) contiendraient-ils plus de sel? Une question légitime car l’idée que les produits meilleur marché sont moins bons pour la santé est assez ancrée dans les esprits.
Là encore, quatre exemples viennent brouiller les pistes! Ainsi, le cervelas le moins salé est celui de Prix Garantie (1,7 g), meilleur que Coop naturaplan (1,9 g) et Bell (2 g), tous deux vendus chez le même distributeur. Pour les sauces tomate, M-Budget figure parmi les plus salées (1,4 g) alors que celle de Prix Garantie l’est modérément (0,8 g). Au rayon des cornflakes: les M-Budget sont les deuxièmes moins salés (1 g). En revanche, les Prix Garantie comptent parmi les plus chargés (2,1 g). L’escalope de poulet M-Budget est non seulement la moins chère, mais aussi la meilleure sur ce point. Bref, rien ne sert de se fier au prix: seule la valeur indiquée sur l’étiquette compte!
Pour contrer les effets délétères du sodium dans les produits trop salés, il faut manger des fruits et des légumes (sources de potassium) en quantité.
«Une stratégie pas assez efficace»
Bilan de ce pointage de 108 produits? Mitigé, hélas, car les trop nombreuses augmentations contrebalancent des diminutions intéressantes. La baisse globale du taux de sel dans les aliments industriels s’avère donc insignifiante. Pour Barbara Pfenniger, responsable alimentation à la FRC, le programme de la Confédération visant à réduire la teneur en sel des aliments transformés n’est pas concluant. «Lorsque nous avons réalisé le test sur les escalopes végétariennes (FRC Mieux choisir N° 109, juin 2018), la teneur en sel élevée des produits suisses comparativement aux produits français nous avait déjà frappés. Au niveau suisse, il n’y a pas eu de campagne nationale auprès des consommateurs, contrairement aux pays voisins. Les gens n’ont donc pas pu jouer un rôle actif et inciter les fabricants à agir.»
La stratégie n’a pas non plus ratissé large: en fixant des limites cibles obligatoires plutôt que volontaires elle aurait touché tout le marché au lieu d’exacerber les différences. «Mis à part un monitoring sur le pain, ajoute Barbara Pfenniger, aucun contrôle n’a été prévu. Nous souhaitons que la Confédération mette sur pied une nouvelle campagne qui corrigerait ces problèmes afin d’obtenir de meilleurs résultats. Et en attendant, notre pointage met en évidence la nécessité d’un étiquetage nutritionnel informatif et apposé de manière plus visible à l’avant des produits.»