25.2.2020, Anne Onidi / La vraie tradition, c’est de la farine, de l’eau, du sel et du levain. Photo: Jean-Luc Barmaverain
Le mode de fabrication du pain influence sa qualité nutritionnelle. La recherche s’est penchée dessus.
Les spécialistes présents lors de notre dégustation du pain de l’avant-veille ont bien insisté sur le fait que seul un pain de bonne facture se mange encore avec plaisir après plusieurs jours de garde. Il est élaboré à partir d’une farine sans ajout et si possible complète. Il contient aussi assez d’humidité, cette donnée variant selon l’expérience de chaque artisan qui juge la quantité d’eau nécessaire au pétrissage. Mais ce dont le pain a surtout besoin, c’est le temps. Jusqu’à 48 heures de fermentation. Soit bien davantage que certains pains industriels qui n’ont bénéficié que d’une heure de levée.
SAVEUR | La fermentation longue améliore la qualité gustative du pain. C’est un avantage tant pour les papilles que pour la santé puisque le produit est goûteux sans forcer sur le sel. Avec de l’entraînement, il est possible de détecter des notes fruitées, épicées, torréfiées, voire boisées selon la roue des arômes du pain développée à la Haute Ecole des sciences appliquées, la ZHAW, de Wädenswil (ZH). Les arômes du pain se développent lentement, notamment sous l’action d’un levain naturel. Les vrais levains-chefs sont d’ailleurs devenus précieux et ont leur propre «bibliothèque», à Saint-Vith (Belgique). Sa collection en regroupe déjà plus de 1700, dont deux émanant de Suisse. Une dizaine d’autres sont en attente. Le levain-chef a été supplanté par la levure à l’action plus rapide, depuis environ 150 ans. Un pain appelé «au levain» peut contenir une combinaison des deux agents levants. Il vaut donc la peine de poser la question au personnel de vente.
LEVAIN ET LEVURE | Contrairement aux muffins américains qui misent sur une poudre à lever dégageant du dioxyde de carbone (CO2) par réaction chimique, le vrai pain lève grâce à un ingrédient vivant: du levain ou de la levure. Cette dernière est composée de microorganismes qui transforment l’amidon et le sucre en CO2 et en alcool. Le pain gonfle et des arômes caractéristiques se développent, comme pour la tresse du dimanche. Grâce à son savoir-faire, le boulanger sait toutefois utiliser moins de levure que dans la recette de ménage. Le levain, lui, est constitué d’un microbiote de bactéries lactiques et de levures naturelles agissant en symbiose. Sa composition dépend du lieu et des farines locales. A chaque nouvelle production de pains, le boulanger garde un reste de pâte pour démarrer la fabrication de la journée du lendemain. Cela durant de nombreuses années. Chaque artisan a donc son propre levainchef. Ce dernier fermente une partie des glucides présents, entre autres, en acide lactique et en CO2 pour faire lever la pâte. Une multitude de substances aromatiques apparaissent donnant au pain une saveur spécifique, marque du boulanger qui l’a élaboré. A découvrir chez les artisans qui font vivre cette tradition partout en Suisse romande, en boulangerie, au marché ou livré sur abonnement. Demandez le pain au levain-chef naturel – un peu plus cher, mais tellement plus goûteux.
QUALITÉ NUTRITIONNELLE | Lors de la fermentation, la composition du pâton évolue. Des chercheurs de l’Université de Hohenheim, à Stuttgart (D), ont montré que des glucides difficiles à digérer, les FODMAPs, apparaissent jusqu’à une heure après le début du processus, puis se décomposent en molécules plus digestes. Ces sucres peuvent être à l’origine de ballonnements et de douleurs abdominales. D’autres chercheurs lient le syndrome de l’intestin irritable plutôt à une sensibilité aux inhibiteurs d’amylase/trypsine. Cette protéine du blé pourrait activer le système immunitaire et causer des symptômes digestifs. Or la fermentation détruirait une petite partie de ces inhibiteurs. En outre, la fermentation et la cuisson réduisent la teneur en acide phytique, un composant naturel du grain qui diminue la disponibilité des minéraux. L’action du levain permet à l’organisme de mieux assimiler le magnésium et le zinc notamment.
ADDITIFS | Les pains standards – blanc, mi-blanc, bis, complet – font partie des aliments qui ne peuvent contenir que peu d’additifs. L’ajout d’arômes est interdit. Pour les pains «spéciaux», la liste s’allonge et augmente plus encore pour les produits préemballés. Les émulsifiants E471 à 572F sont suspectés d’augmenter entre autres la perméabilité de la barrière intestinale, de perturber le microbiote intestinal et de favoriser l’inflammation chronique. Raison de plus de lire la liste des ingrédients ou de se renseigner. Un pain traditionnel, lui, n’a besoin que de farine, d’eau, de sel et de levain. Plus une bonne ration de savoir-faire et de temps.