Sécurité alimentaire
«Les systèmes de contrôle sont inadaptés aux multinationales»
Archive · 26 mars 2013

Marc Tréboux, qui préside la Commission agriculture et alimentation de la FRC depuis l’an dernier, se dit surpris qu’une entreprise de la taille du français Spanghero ait pris le risque de commettre une fraude pourtant si facilement détectable par les analyses ADN... Rencontre.
Dans quel cas les consommateurs sont-ils informés sur la provenance de la viande et quand ne le sont-ils pas?
Pour la viande fraîche, il est obligatoire d’indiquer la provenance par écrit. Pour les produits transformés, il faut que la viande représente plus de 50% du produit fini pour que son origine doive être inscrite. Sur les étiquettes de viande séchée, saucisses, steaks hachés ou cordons-bleus, par exemple, il est obligatoire d’indiquer la provenance de l’animal. C’est une spécificité suisse qui garantit une certaine transparence. En revanche la législation européenne ne le prévoit pas. L’information doit aussi être donnée par écrit dans la restauration. Dans les cas où la viande représente moins de 50% du produit fini – lasagnes, raviolis, croissants au jambon, sauces à la viande ou plats préparés –, cette information n’est pas obligatoire.
Face au «horsegate», le scandale de la viande de cheval, qu’est-ce qui vous a le plus surpris?
La substitution du bœuf par du cheval dure vraisemblablement depuis quelques mois. Pourtant, grâce aux analyses ADN, cette fraude est facilement détectable. Je suis donc surpris qu’une entreprise de la taille de Spanghero – la firme française emploie quelques centaines de salariés – ait pris le risque de se faire prendre. Pour d’autres tromperies, à condition d’être malin, une entreprise peut très facilement tricher sur la provenance ou rajouter des arômes car les autorités ont peu de moyens de contrôle face à ce type de pratiques.
Pour les autorités de contrôle, quels sont les défis à relever alors qu’il y a tant d’intermédiaires dans plusieurs pays tout au long de la chaîne de production?
Un chimiste cantonal aurait de grandes difficultés à remonter une filière en partant du produit fini tel qu’il est vendu aux consommateurs. En théorie, c’est certes possible, mais, concrètement, faire intervenir les autorités de quatre ou cinq pays, c’est mission impossible. De plus, les contrôles officiels en Suisse ne se font que rarement sur les documents comme les factures ou les bulletins de livraison. Dépouiller des classeurs prend beaucoup de temps; il faut donc avoir de très sérieux doutes pour y investir des ressources. En France, la Répression des fraudes dispose d’inspecteurs spécialisés qui mènent ce genre d’enquêtes purement documentaires, mais il n’existe pas de formation similaire dans notre pays.
Les contrôles ne se sont-ils pas trop concentrés sur les aspects sanitaires de l’alimentation?
C’est à juste titre que les contrôles se focalisent aujourd’hui sur les aspects de sécurité alimentaire. Au début du XXe siècle et jusque dans les années 1960, l’essentiel des contrôles portait sur la tromperie sur les marchandises. Avec le développement des techniques analytiques permettant de détecter les résidus de pesticides ou les contaminations bactériologiques, les aspects de santé ont pris le dessus. Il faut aussi préciser que les structures des autorités de contrôle ont été créées pour surveiller l’artisanat et les petites entreprises, mais ne se sont pas adaptées pour le contrôle de grandes multinationales.
Donnez-nous des exemples de tromperie sur la marchandise au début du XXe siècle...
Du vin artificiel fait sans raisin ou du talc dans la farine, voilà les cas que l’on rencontrait à l’époque.
Comment détecter les produits avec lesquels il peut exister un risque accru de fraude économique?
Il n’y a pas d’analyse de risque économique dans le système de contrôle suisse. On pourrait imaginer une structure qui observe le marché mondialisé des matières premières. En suivant le cours boursier du prix de la viande de cheval, on aurait pu détecter à partir de quand la différence de prix avec le bœuf rendait la fraude particulièrement lucrative.
Que faudrait-il changer pour éviter que ce genre de scandale à grande échelle ne se reproduise?
Les entreprises doivent mieux intégrer les risques économiques dans leur système de contrôle de la qualité de leurs produits. Actuellement, il est principalement basé sur les risques sanitaires.
Et au niveau des autorités?
Le contrôle des grandes entreprises devrait être piloté par les autorités fédérales car les Cantons n’ont pas forcément les ressources et les compétences nécessaires pour surveiller des entreprises de la taille de Bell, Nestlé ou Migros. Face aux produits importés depuis les pays tiers (hors de l’Union européenne), la fiabilité des documents de contrôle, y compris officiels, pose problème, notamment en raison de la corruption qui existe dans certains pays. Cela rend la tâche difficile pour les importateurs d’assumer leur responsabilité en matière de sécurité ou de tromperie.
Face à une fraude économique, faut-il aussi s’inquiéter pour la santé?
Oui, dans certains cas. La fraude à la viande de cheval semble ne pas poser de problème, au contraire d’autres tromperies économiques. Je pense aux résidus de dioxine dans des poulets nourris avec des huiles minérales ou à la mélamine ajoutée dans le lait en Chine. Amorcée dans les années 1980, l’industrialisation de la production animale conduit à des dérives. Les producteurs cherchent le profit maximal et économisent sur l’alimentation des animaux et leurs conditions d’élevage.
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