Commerce

Les secrets du prix du cacao

Le prix du chocolat a fortement augmenté en l’espace de quelques années. En cause, notamment, la hausse des cours du cacao et d’autres matières premières. Mais impossible d’en savoir plus: aussi bien les fabricants que la grande distribution se murent dans le silence.

Argent Prix

15 décembre 2025

Gousses de cacao

Freddie Ledger / Shutterstock

«Noël est la période la plus importante de l’année pour nous, mais nous ne divulguons pas les détails concernant sa part dans notre chiffre d’affaires total.» Lindt & Sprüngli, l’un des grands chocolatiers de Suisse, n’en dira pas davantage. Même son de cloche du côté de Nestlé: «Nous ne communiquons pas ces chiffres en détail. Les ventes de Noël sont importantes pour nous, car nous sommes très présents dans la catégorie des pralinés (…).»

Même en l’absence de données chiffrées, il est indéniable que le chocolat est un invité d’honneur sur la table des fêtes. Or il n’aura échappé à personne qu’offrir cette douceur très appréciée – la consommation annuelle était de 10,6 kg par personne en Suisse en 2023 – coûte plus cher depuis près de deux ans. En cause: entre début 2022 et fin 2024, le cours du cacao est passé d’environ 2500 dollars la tonne à plus de 12 000. Après d’importantes variations et de nouveaux pics, il a baissé depuis le printemps 2025 pour s’établir cet automne à un peu plus de 5000 dollars la tonne, un chiffre toutefois bien supérieur à ceux de 2022.

Une baisse des rendements et une hausse de la demande

Pourquoi une telle envolée du cours du cacao? «En Côte d’Ivoire et au Ghana, principaux pays producteurs qui fournissent ensemble plus de 70% de la production mondiale de cacao, des conditions météorologiques défavorables (fortes pluies, sécheresses, dégâts causés par le vent) et des maladies dans les plantations de cacao ont entraîné une baisse significative des rendements», explique Lydia Toth, la porte-parole de la Fédération des fabricants suisses de chocolat ChocoSuisse. À cela s’ajoutent d’autres facteurs: le manque d’investissements pour remplacer les cacaoyers vieillissants, la hausse de la demande en chocolat et les régulations supplémentaires – notamment concernant la déforestation –, énumère la responsable. Le coût d’autres ingrédients a également pris l’ascenseur en Suisse, comme celui du lait et du sucre.

La hausse du cours du cacao, combinée à l’augmentation du prix d’autres denrées, expliquerait donc que le consommateur suisse, en bout de chaîne, doive davantage mettre la main au porte-monnaie. Pourtant, difficile de savoir comment se décompose exactement le prix du chocolat: qui gagne combien dans la chaîne de valeur? ChocoSuisse affirme qu’il est difficile de répondre à cette question. «Les prix plus élevés en magasin ne reflètent pas des marges plus importantes, mais une augmentation des coûts tout au long de la chaîne d’approvisionnement», souligne Lydia Toth.

Interrogés à propos de la formation des prix, les fabricants sont peu diserts et renvoient en général à la faîtière ChocoSuisse. Même rengaine du côté des distributeurs contactés, qui bottent en touche. «Nous ne communiquons pas de détails spécifiques sur la répartition des coûts. Nos prix sont toujours calculés au plus près», déclare ainsi le porte-parole de Migros Tristan Cerf. «Coop ne réalise pas plus de bénéfices sur les produits dont le prix a été ajusté», indique pour sa part Kevin Blättler, du service de communication du géant orange.

Des études française et allemande

Pour se faire une idée, une plongée dans des recherches effectuées à l’étranger est instructive. Selon l’étude German Cocoa and Chocolate Value Chains réalisée par la German Initiative for Sustainable Cocoa et qui concerne l’Allemagne, le prix du chocolat se décompose en plusieurs coûts: culture du cacao, récolte et exportation, ingrédients non basés sur le cacao, transformation du cacao, fabrication des produits finis et vente au détail. Une marge d’environ 10% est réalisée par les vendeurs en bout de chaîne sur le prix payé par le consommateur. Quant au cultivateur, il empoche de 6 à 15% du total, ce qui ne lui laisse presque aucune marge.

Une autre étude consacrée au marché français intitulée Comparative study on the distribution of value in European chocolate chains arrive à des conclusions similaires. «En moyenne, 70% de la valeur totale et 90% des marges totales générées par le cacao, des agriculteurs aux consommateurs finaux, reviennent aux deux derniers acteurs de la chaîne: les marques et les détaillants. En amont, seuls 18,6% de la valeur totale et moins de 7,5% de la marge totale sont générés par les acteurs des pays producteurs de cacao (de la culture du cacao à l’exportation des fèves).»

À noter qu’au Ghana ainsi qu’en Côte d’Ivoire, l’État fixe les prix. Un mécanisme censé garantir que les cultivateurs gagnent suffisamment pour vivre décemment. Mais visiblement, cela ne fonctionne pas.

La FRC exige davantage de transparence

Dommage qu’il soit si difficile d’obtenir des informations concernant les mécanismes de la formation du prix du chocolat en Suisse. De manière générale, la FRC se bat depuis des années pour davantage de transparence dans le commerce. Si la hausse du cours du cacao est une réalité indéniable, impossible de calculer son impact réel sur le prix final du chocolat dans les magasins.

La FRC appelle donc à une information claire et transparente sur la formation et la fixation des prix, afin que le consommateur puisse juger par lui-même si le coût payé pour le chocolat dans les commerces est justifié ou non.

Cette exigence complète une autre revendication de la FRC : l’instauration d’un véritable observatoire sur les prix, dont l’objectif serait de vérifier si les marges des détaillants pour les produits agricoles suisses sont justifiées ou non. Un tel organisme n’aurait cependant aucune prérogative sur le cacao, cette denrée étant intégralement importée.

Cacao: les labels ne garantissent pas la rémunération des producteurs

Fabricants et distributeurs affichent fièrement leur engagement en faveur des travailleurs. Or derrière les promesses se cache une réalité bien différente.

Si Géraldine Viret, porte-parole de l’organisation Public Eye, reconnaît le rôle de la crise climatique dans les faibles rendements, elle pointe aussi la rémunération insuffisante des cultivateurs. «L’absence d’un prix permettant un revenu vital et le faible soutien aux familles paysannes entraînent du travail des enfants et ne laissent que très peu de possibilités d’investir dans les plantations», dénonce la responsable.

Chez Coop, on souligne l’engagement de l’entreprise envers les cultivateurs. «Avec Halba, notre groupe (…) mise depuis plus de 15 ans sur l’approvisionnement direct et le contact avec les producteurs et productrices de cacao. Depuis 2015, tous les chocolats des marques propres Coop de Halba sont fabriqués à partir de cacao issu du commerce équitable», explique le porte-parole Kevin Blättler. «Outre son engagement dans divers projets locaux, Coop, pionnière du chocolat durable, paie aux producteurs des prix supérieurs à la moyenne. Ceux-ci ont considérablement augmenté au cours des deux dernières années. Notre engagement porte ses fruits et est régulièrement récompensé.»

Migros, de son côté, fait également part d’un engagement actif sur le terrain: label Rainforest Alliance, commerce équitable estampillé Max Havelaar, plateforme suisse pour le cacao durable, primes versées aux producteurs, liste le porte-parole Tristan Cerf. «Notre engagement pour une culture durable du cacao vise à soutenir les producteurs et productrices tout en protégeant l’environnement.»

Silvie Lang, coresponsable d’équipe chez Public Eye, dresse un bilan contrasté de l’engagement des deux géants orange. «Halba obtient régulièrement de très bons résultats dans le Chocolate Scorecard et est certainement dans les plus progressistes parmi les grandes entreprises.» La responsable souligne cependant que la politique des prix de Halba n’a pas grand-chose à voir avec la certification ou les labels, mais plutôt avec l’engagement de l’entreprise «qui va au-delà des exigences minimales». Silvie Lang relativise cependant son propre jugement: «Dans l’ensemble, je dirais que Halba contribue certainement à l’amélioration des conditions de vie des agriculteurs et agricultrices, mais je ne sais pas dans quelle mesure tous les producteurs de cacao Coop perçoivent effectivement un revenu leur permettant de subvenir à leurs besoins. J’ose en douter.»

Concernant Migros, le jugement de la responsable est sévère. La coopérative «obtient des résultats relativement médiocres dans le Chocolate Scorecard». Silvie Lang poursuit: «Les labels n’offrent tout simplement aucune garantie quant au respect des droits humains ou à des prix permettant de garantir un revenu décent. Chez Frey, on cherche en vain des engagements concrets en faveur d’un revenu permettant de subvenir aux besoins. La référence à la plateforme sur le cacao n’est pas suffisante. La plateforme s’est certes fixé des objectifs en matière de cacao durable, mais elle ne prend en compte que le cacao importé et considère également le cacao certifié comme déjà durable. Cela est clairement insuffisant.»

Quid du côté des fabricants suisses de chocolat? Nestlé met en avant son programme Income Accelerator visant à augmenter les revenus des cultivateurs: 30 000 familles sont soutenues en Côte d’Ivoire et au Ghana, et l’objectif est de porter ce nombre à 160 000 d’ici à 2030, indique la multinationale. Parallèlement, Nestlé a lancé le programme Nestlé Cocoa Plan en 2009, visant à «promouvoir un approvisionnement durable et responsable en cacao, à améliorer les conditions de vie des agriculteurs et à aborder les enjeux sociaux et environnementaux dans les chaînes d’approvisionnement du cacao». La multinationale basée à Vevey indique que près de 90% du cacao sourcé par Nestlé fin 2024 provenait du Nestlé Cocoa Plan, que plus de 163 000 cultivateurs en faisaient partie et que plus de 1,7 million d’arbres avaient été distribués aux cultivateurs. «Nestlé vise à atteindre l’objectif de sourcer 100% de son cacao via le Nestlé Cocoa Plan d’ici fin 2025.»

Quant à Lindt & Sprüngli, le chocolatier indique mettre en œuvre «des mesures visant à contribuer à la création de revenus suffisants et résilients pour les producteurs de cacao et leurs familles, ainsi qu’à promouvoir des méthodes de culture plus durables. Cela comprend des mesures visant à promouvoir la productivité, des formations sur des thèmes tels que la diversification des revenus, le paiement en espèces et en nature aux agriculteurs, ainsi que des investissements dans des infrastructures telles que des écoles et des puits ou la création d’associations de crédit.»

Concernant Nestlé, Silvie Lang est catégorique: «Le Nestlé Cocoa Plan ne contient aucun engagement concret en faveur du revenu vital. L’augmentation des revenus est un objectif, ce qui signifie que Nestlé reconnaît que sans revenus supplémentaires, les agriculteurs ne peuvent pas sortir de la pauvreté.» Selon elle, si l’augmentation des revenus est principalement considérée comme un moyen de lutter contre le travail des enfants – ce qui est tout à fait juste –, des revenus permettant de subvenir aux besoins devraient être un objectif à part entière. «L’Income Accelerator vise à contrer cette tendance et s’appuie sur le Cocoa Plan. Ce programme a pour objectif d’augmenter concrètement les revenus des familles d’agriculteurs. Le problème est que le soutien financier qui en découle est lié à des incitations, ce qui peut être précaire. Dans certains domaines, cela peut avoir du sens (inscrire les enfants à l’école, s’il y a des écoles et si l’accès est possible), mais souvent, l’accès, les documents, les possibilités et la volonté font défaut. En outre, la politique des prix reste basée sur les prix du marché mondial, il n’y a pas de calcul ascendant en fonction des besoins des producteurs. De plus, le label Rainforest est ici aussi la norme la moins stricte.»

La spécialiste de Public Eye est à peine moins sévère avec Lindt & Sprüngli: «Sans détails sur les programmes et les mesures, il est difficile d’en évaluer l’efficacité. Il est positif que ce chocolatier ait également reconnu que cela ne fonctionnera pas sans argent supplémentaire ou primes. Je me pose toutefois la question suivante: pourquoi des primes en nature? De quoi s’agit-il? Est-ce ce que souhaitent les familles d’agriculteurs? Lindt & Sprüngli calcule-t-il également le revenu nécessaire pour assurer la subsistance et comment il compte y parvenir, et dans quels délais?» Bref, le chocolat, ce sont beaucoup de questions, mais encore trop peu de réponses.

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