Responsabilité sociale

L’envers de l’étiquette «responsable» du T-shirt

Très loquaces sur leurs engagements écologiques et sociaux dans leurs campagnes de vente, les marques le sont beaucoup moins lorsqu’il s’agit de répondre à des questions précises sur la confection d’un vêtement.

Enjeux collectifs Responsabilité sociale Transparence Maison et loisirs Textiles

Archive · 15 septembre 2021

Elles se nomment Join Life, Conscious, Promod for Good, Manor respect et #Wear the change. Outre leurs références anglaises, les marques Zara, Pull&Bear, H&M, Promod, Manor et C&A partagent un objectif: proposer des articles de mode plus responsables. Vraiment? Afin de promouvoir leurs lignes, elles usent d’un vocabulaire savamment choisi. Désormais, l’industrie textile vend de la vie, de la conscience, du bon, du respect et du changement.

Mais ces vêtements sontils à la hauteur de leur slogan? Les marques sont-elles prêtes à faire preuve de transparence? La FRC a acheté douze T-shirts blancs de ligne «responsable» et a interrogé les firmes sur des aspects sociaux et environnementaux. Au total, dix questions développées grâce aux conseils de Public Eye et de Greenpeace, associations spécialistes de ces problématiques. Le focus a porté sur trois points essentiels: le salaire des ouvriers, les substances chimiques utilisées et les changements planifiés.

Silence éloquent

Cinq entreprises n’ont pas donné suite à nos sollicitations, malgré des appels répétés. Dès lors, impossible de savoir si elles joignent le geste à la parole. On conviendra tout de même que l’absence de réponse inspire la méfiance. Trois autres nous ont partiellement répondu ou nous ont renvoyé aux pages Durabilité de leur site internet. Leur démarche est jugée insatisfaisante. Enfin, quatre firmes ont répondu à chaque question, mais seules Loom et Migros ont révélé le salaire des ouvriers. La marque française a même consenti à dire combien l’article lui avait coûté. Il règne entre elle et un géant comme H&M un abîme d’opacité. Alors que Loom nous a simplement répondu, H&M a noyé quelques rares informations intéressantes dans une langue de bois bien étudiée. Si l’on souhaite acquérir des vêtements durables, poser des questions aux marques est le meilleur moyen de choisir en connaissance de cause. Le véritable dialogue est rare, mais possible.

Les labels ne font pas tout

Pour s’orienter, le consommateur peut aussi s’appuyer sur la présence de quelques labels. Parmi les plus intéressants du moment, citons GOTS, particulièrement poussé d’un point de vue environnemental (réglementation stricte des substances chimiques). Il assure également quelques garanties sociales. Les vêtements labellisés bioRe et Naturaline bio & fair (bio et équitable, en français) proposent également des standards environnementaux et sociaux parmi les plus avancés.

Les labels textiles

Mais à l’heure actuelle, aucun label ne garantit un salaire vital aux ouvriers de l’industrie textile. Cette rémunération, largement supérieure aux salaires minimums que fixent les États, permettrait à une famille de deux adultes et deux enfants de vivre décemment. On peut observer de petites avancées, comme au Bangladesh où le salaire minimum a augmenté. Mais les rétributions de ce secteur, pourtant très actif et lucratif, restent parmi les plus basses du marché. Pour l’heure, elles n’assurent que la subsistance, pas une vie décente.

Tableau comparatif en PDF

 

Étonnante qualité

La durabilité se mesure aux conditions de travail et environnementales. Mais aussi à la coupe et à la durée de vie d’une pièce. Ainsi, la qualité de confection a été jugée avant et après lavage. Un coton blanc doit résister à un passage en machine à 60 °C sans se déformer et presque sans rétrécir. Nos douze modèles ont été confiés à deux expertes: Lucilla Croquelois, couturière spécialiste du textile à la FRC, et Andrea Hagmann, qui a enseigné vingt ans à l’École suisse du textile de Zurich.

Côté rétrécissement, quelques différences, mais rien d’important; tous les vêtements restent portables. La réponse est plus nuancée concernant la qualité de conception. Pas de fils qui dépassent ou de coutures de travers: les hauts ont été réalisés correctement. Mais le T-shirt de Promod cumule de nombreux défauts, qui font chuter sa note. Tout comme le Levi’s, fabriqué avec un tissu coupé de biais, lui faisant cruellement manquer de tenue. De nombreux modèles sont aussi légèrement tordus, c’est-à-dire que les coutures latérales sont de travers. Notre jury a en revanche trouvé le Naturaline irréprochable.

L’instantané Loom

Voilà comment peut (et devrait!) répondre une marque de vêtements. Extraits.

Quel est le salaire moyen de l’opérateur sur machine qui a fabriqué ce T-shirt?
Un opérateur est payé au Smic, donc 740,83 € pour 39 h/semaine. Son salaire moyen est donc de 4,40 €/h.

Pouvez-vous garantir qu’aucun de ces composés chimiques (liste jointe, ndlr) n’est utilisé?
Notre T-shirt suit la norme Reach et le tissu est certifié Oeko-Tex et GOTS. Il ne devrait pas contenir les composés que vous nommez. Nous n’effectuons pas de tests chimiques supplémentaires (c’est un luxe de grosse structure). Donc au-delà des certificats, nous ne pouvons pas le prouver. Mais maintenant que vous nous le demandez, je me dis qu’on devrait peut-être faire un pointage de temps en temps, histoire d’être certain…

Quels changements prévoyez-vous d’apporter à votre modèle économique?
On voudrait racheter les vêtements Loom que nos clients ne mettent plus, les remettre en état, les teindre à nouveau et les remettre en vente.

3 questions à... Fanny Dumas

Que conseiller à quelqu’un qui veut s’habiller sans nuire aux droits humains et à l’environnement?
D’abord de réunir toute sa garde-robe pour prendre conscience de sa surconsommation. Puis de choisir un angle d’attaque comme opter pour des vêtements en fibres naturelles, produits en Europe ou de seconde main. Il y a plein de possibilités. Par la suite, on peut affiner, pourquoi pas en évitant des marques de la fast fashion, même en seconde main. La transition se fait ainsi par étapes.

Et lorsque l’achat du neuf s’avère nécessaire, comment choisir?
Il est conseillé de poser des questions aux marques et aux boutiques. Ce qui est souvent impossible avec les grandes enseignes. Une marque peut difficilement être parfaite, mais c’est intéressant de discuter pour comprendre où sont les points d’achoppement. Notre site, fairact. org, fournit une liste de lieux offrant une mode responsable.

Quelle est l’urgence à traiter dans le secteur de l’habillement?
La surconsommation. De manière générale, il y a beaucoup à faire autour du prix: un T-shirt à 5 francs, ce n’est pas possible. Quelqu’un quelque part paie le prix de ce vêtement trop bon marché.

Fanny Dumas
Présidente de l’association suisse FAIR’ACT pour une mode responsable

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