Textile
Le revers sombre de la fabrication des jeans
Nos enquêteurs ont voulu visiter les usines de treize marques de jeans. Seules six d’entre elles ont accepté. Les problèmes sociaux et environnementaux sont nombreux dans ce secteur.
22 février 2012


Anne Onidi
Journaliste scientifique
Chaque année, ils sont 5 millards à sortir des fabriques de Chine – principal pays producteur –, de Turquie, du Bangladesh ou d’ailleurs. Véritable phénomène de mode dès les années 1950, le célèbre tissu bleu roi s’est, depuis, décliné en de multiples teintes. Mais il garde toujours une face claire et son revers sombre. La face claire, on la connaît bien: c’est l’allure dynamique et décontractée que le vêtement apporte à son propriétaire. Le côté obscur, ce sont les conditions dans lesquelles les ouvriers procèdent à l’élaboration du textile ainsi que les retombées néfastes de cette gigantesque industrie sur l’environnement. C’est sur cette face-là que ce test s’est penché.
Plus de 50% des marques opaques
Processus de traitements hautement nocifs, piètre protection sanitaire et sociale des employés, utilisation massive de produits chimiques et d’eau: le portrait que nos enquêteurs brossent des fabricants de jeans est bien loin des images glamour ou rock’n’roll que diffusent les marques. Pour démarrer cette grande étude, nous avons envoyé un questionnaire détaillé à treize entreprises européennes et américaines. Les derniers du test, Diesel et Salsa, ne peuvent décemment récolter aucun point car, en plus d’avoir évité nos questions, ces deux marques ne possèdent aucun code de conduite disponible sur lequel se former un semblant d’opinion. A signaler que Diesel n’a carrément pas répondu à notre courrier, alors que Salsa et Boss ont motivé leur abstention. 7 for all mankind, Wrangler, Lee (tous trois membres du même groupe américain, VF Corporation) et Kuyichi ont, quant à eux, décliné sans se justifier. Quant à Levis et G-Star Raw, ils ont accepté de collaborer en émettant quelques réserves, ce qui les a pénalisés au niveau de la transparence.
Prix bas, exigences en hausse
Parmi les six marques ayant joué le jeu, les géants de l’habillement bon marché, le suédois H&M et l’espagnol Zara, se démarquent. Ces entreprises, qui proposent les jeans les moins chers de toute la sélection, sont aussi celles qui montrent la plus grande responsabilité sociale et environnementale. Mais elles ne font pas pour autant figure d’exemples, et leur marge d’amélioration demeure importante. Pour H&M, Zara et les autres, c’est au niveau du comptage des heures de travail ainsi que de la rémunération des heures supplémentaires qu’il faut impérativement agir. Quant à la politique de management environnemental, elle est inexistante chez nombre d’entreprises, dont Zara.
Chaque test éthique que nous réalisons soulève l’éternelle question du salaire minimal. Les marques les plus engagées respectent ce barème de rémunération. Malheureusement, c’est le calcul même de ces salaires qui pose problème. Au Bangladesh, par exemple, où nos confrères allemands ont visité une usine fournissant H&M, le salaire minimal est de 28 euros par mois. Or, selon l’Alliance asiatique pour un salaire minimal, il faudrait 115 euros, soit quatre fois plus que ce que nos entreprises occidentales déboursent, pour vivre décemment dans ce pays…
Sablage: ouvriers victimes de la mode
Plusieurs méthodes existent pour donner aux jeans un aspect usé et décoloré. Parmi elles, le sablage, où les ouvriers projettent manuellement du sable sous haute pression, quasi sans protection. Bannie dans la Communauté économique européenne dans les années 1960, cette manière de faire a officiellement pris fin en Turquie en 2009. C’est là que la silicose, une maladie pulmonaire due à cette pratique, a été mise en évidence pour la première fois. A fin 2010, on estimait à 5000 le nombre d’ouvriers turcs atteints de silicose et à 50 le nombre de décès. Pour le Comité turc de solidarité envers les ouvriers du sablage, à l’origine de l’interdiction, le problème n’est pas réglé. «L’industrie du jean a délocalisé cette technique dans des pays comme le Bangladesh, le Pakistan ou des pays d’Afrique du Nord, explique Yesim Yasin, sa porte-parole. Aujourd’hui, nous nous battons avec des organisations mondiales pour lutter contre ce fléau de manière globale.»
Lors de notre enquête, aucun cas de sablage manuel n’a été observé. Une usine du Bangladesh produisant pour H&M pratique toutefois le sablage pour d’autres marques que le géant suédois, qui y a renoncé pour ses propres vêtements.
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