20.4.2011, Elisabeth Kim
Un Helvète produit en moyenne 700 kilos de déchets ménagers par an. Pour faire maigrir nos poubelles, éradiquons les packagings démesurés!
Une fois n’est pas coutume, commençons par le verre à moitié plein: les Helvètes excellent dans le recyclage. Selon les statistiques de l’Office fédéral de l’environnement (OFEV), qui remontent à 2009, 51% des déchets connaissent une nouvelle vie. De quoi réjouir Berne, pour qui le tri sélectif des poubelles, dont la proportion a plus que doublé à partir des années 1980, aurait pratiquement atteint son paroxysme. Car nos autorités privilégient l’incinération, écologie devant rimer avec économie. « Le recyclage doit présenter des avantages au niveau de l’écobilan global et être financièrement supportable », résume, à l’OFEV, Peter Gerber.
3000 tonnes: le volume annuel des emballages qui finissent à la poubelle, 118 kg: le poids des matières plastiques par habitant, 51%: la part de déchets recyclés.
Un packaging inflationniste
Les Suisses, champions de la poutse, certes, mais qu’en est-il si on remonte à la source? Là, le constat est moins glorieux. En Suisse, comme dans tous les pays industrialisés, on consomme, et on jette, de plus en plus, voire plus rapidement. L' »obsolescence programmée » contamine nombre de secteurs, de l’automobile en passant par l’électronique, les appareils électroménagers, les vêtements, les accessoires de mode, le mobilier, les jouets, etc., où les produits sont conçus pour une durée de vie toujours plus courte! Du prêt-à-jeter, dénoncé avec force par un documentaire du même nom en 2010 par Cosima Dannoritzer.
S’il est difficile pour les consommateurs de percer les secrets des stratégies industrielles, l’exemple du suremballage, lui, est emblématique. Visible à l’oeil nu, cette pratique est non seulement coûteuse d’un point de vue environnemental mais se révèle également très onéreuse pour le porte-monnaie des ménages. Pour preuve, ce rapide coup de sonde mené dans différents commerces lausannois. But de l’opération: composer un pique-nique avec, d’une part, des denrées alimentaires emballées raisonnablement, nécessitant parfois un peu d’huile de coude, et, de l’autre, des mets en portion individuelle et/ou en plat déjà préparé (convenience food). Le tout sans préjuger ni de la marque ni de la qualité ou de l’origine des ingrédients utilisés.
Le résultat s’avère édifiant. Les consommateurs paient, et souvent sans en avoir conscience, très cher les articles suremballés. Pour une quantité de nourriture équivalente, le surcoût du conditionnement des produits pris en exemple en page 7 représente au mieux +31% pour un fromage, mais peut grimper jusqu’à +135% pour des chips, +469% pour une compote de pommes et +1083% pour une simple salade de carottes! Un packaging inflationniste – et que dire des périodes de fêtes… – qui passe de plus en plus mal, et pas seulement aux yeux d’écologistes fanatiques, d’autant que ces emballages démesurés sont souvent impossibles à recycler car composés de plusieurs matériaux différents.
L’OFEV, qui ne dispose d’aucune étude approfondie à ce sujet – dans l’Hexagone, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) calcule à 73 kilos les déchets d’emballage générés par chaque Français annuellement -, avance que la plupart des industriels ont tendance à réduire leur packaging. Ce sentiment n’est pas partagé par Laurent Thurnheer, le fondateur de Summit Foundation, qui travaille notamment dans des zones de loisirs tels les festivals ou les stations de ski. « La problématique du suremballage, en particulier en plastique, se révèle toujours plus criante sur le terrain! » s’exclame le Lausannois.
Les écocontrats genevois
Même son de cloche chez Pierre Maudet, à la tête du Département de l’environnement et de la sécurité de la ville de Genève, qui a concrétisé une quinzaine d' »écocontrats » avec des entreprises de la place. « Le déchet est un échec économique! » lance-t-il. Face à la croissance des take-away – selon l’OFEV, la restauration rapide génère 55% des détritus jetés dans la rue -, le politicien a développé des partenariats ciblés pour limiter le littering sur la voie publique et améliorer les taux de recyclage. Le Genevois s’est également attaqué à la source: la production des futurs détritus. Ainsi, Migros Genève a supprimé les sacs en plastique des caisses des supermarchés. Soit 35 millions de pièces par an, avec au passage une économie annuelle de coûts de 500 000 francs pour la filiale genevoise, qui lancera, tout prochainement, un sac à tri que les clients pourront emporter à domicile.
L’enjeu des collectivités locales
Autre exemple: Manor, qui a réduit drastiquement les emballages de ses articles de restauration rapide. « Nous avons négocié un écocontrat avec la direction genevoise de Manor, explique Pierre Maudet. A savoir que la ville se chargeait du premier nettoyage de la journée aux abords des magasins, Manor prenant ensuite la relève. Lorsque le distributeur s’est rendu compte à quel point ses poubelles débordaient, il a très rapidement pris des mesures pour faire mincir ses emballages. » Le magistrat radical, qui travaille sur une dizaine de nouveaux écocontrats, espère convaincre La Poste et d’autres firmes de mettre en place un système de récupération des téléphones mobiles hors d’usage.
« Je suis convaincu qu’il y aura toujours plus de tri, mais aussi plus de déchets. Tout l’enjeu pour les collectivités locales, c’est de les gérer », ajoute Pierre Maudet, pour qui l’alliance public- privé, de manière volontariste, constitue une piste intéressante. Du côté des fabricants, où les emballages constituent aussi un formidable outil de marketing, si les stratégies à large échelle ne pullulent pas en Suisse, certains frémissements se font sentir. Sabine Vulic, porte-parole de Coop, note que le groupe met en place plusieurs projets allant dans le sens du « désemballage ». L’an dernier, les conditionnements de certains assortiments de fruits, légumes, viandes et convenience food ont été réduits de 10% à 15%, note-t-elle. Nestlé, le géant de l’agroalimentaire, déclare diminuer d’environ 1,5% chaque année le volume des emballages de ses marques en Suisse depuis une décennie.
Un nouveau modèle économique?
Reste que la législation suisse dans le domaine est inexistante, comparée à celle des voisins européens, soumis notamment à une directive sur les emballages et les déchets d’emballage qui prévoit des limitations de volume et de poids, tout en prenant en compte leur nocivité environnementale. De quoi inciter les entreprises à chercher des alternatives (lire aussi en page 10). Outre-Manche, dopée par les autorités, la traque au suremballage a sonné. Ainsi, le distributeur Asda expérimente dans certains de ses supermarchés un système de plastique réutilisable que le client remplit avec la lessive de son choix.
Toujours en Angleterre, à Londres, un magasin appelé Unpackaged (Désemballé) ne propose que des articles en vrac… Pour Régis Chatelain, de Swissecology, le « désemballage » répond non seulement à une demande croissante des consommateurs, mais peut s’avérer un excellent modèle économique. Le directeur du bureau d’ingénierie en développement durable en veut notamment pour preuve Ikea, le leader de l’ameublement suédois, réputé aussi bien pour ses emballages réduits au minimum que pour ses systèmes de recyclage.