30.3.2010
Le moratoire est prolongé en Suisse. Cependant, chez nos voisins, l'attitude précautionneuse longtemps observée semble avoir fait long feu.
Début mars, deux nouvelles contradictoires ont marqué l’actualité sur le front des OGM: l’autorisation pour la culture par l’Union européenne, sur un avis favorable de l’AESA (Agence européenne de sécurité des aliments) de la pomme de terre transgénique Amflora, et la prolongation de 3 ans du moratoire, avalisée par le Conseil national suisse. La Suisse restera exempte de culture commerciale d’OGM jusqu’en 2013. Mais en Europe, les promoteurs des OGM semblent avoir remporté une manche, explique Luigi D’Andrea, secrétaire du groupe de travail romand sur le génie génétique Stop OGM.
Quelles sont les caractéristiques de l’Amflora?
Cette pomme de terre, développée par BASF il y a 13 ans, présente une teneur élevée en amylopectine (sorte d’amidon utilisé dans l’industrie textile et papier). Elle possède aussi un gène de résistance à la kanamycine, un antibiotique. En Suisse, elle serait donc interdite, même sans moratoire. L’OMS (Organisation mondiale de la santé) recommande en effet d’éviter de tels gènes pour ne pas augmenter les résistances aux antibiotiques. D’autant qu’un groupe allemand a réussi à développer une pomme de terre à haute teneur en amylopectine par sélection conventionnelle.
Risque-t-on de goûter des pommes de terre transgéniques dans les assiettes européennes?
L’Amflora est autorisée pour un usage industriel et dans l’alimentation animale. En effet, de nombreux sous-produits (jus, amidon) vont être utilisés comme engrais et fourrages. L’autorisation demandée par BASF porte aussi sur l’alimentation humaine, puisque la présence accidentelle de cette pomme de terre dans la filière alimentaire ne peut être exclue. Rappelons que les filières avec et sans OGM ne sont pas étanches.
La position de la Commission européenne en matière d’OGM a-t-elle évolué ?
L’avis favorable de l’AESA concernant l’Amflora date de 2007, mais le précédent commissaire européen chargé du dossier, Stavros Dimas, ne l’avait pas autorisée pour autant, attentif aux attentes des consommateurs. John Dalli, chargé de la santé et de la protection des consommateurs depuis novembre 2009, semble lui plus ouvert aux plantes génétiquement modifiées que son prédécesseur. Trois variétés de mais transgéniques ont ainsi été autorisées à l’importation en même temps que l’Amflora.
L’AESA n’est-elle pas trop favorable aux OGM?
Les avis de l’AESA ont toujours été favorables aux OGM. Certains experts (par ex. du HCB ou du CRIIGEN en France), estiment que les dossiers présentés par les entreprises sont insuffisants pour émettre un avis scientifiquement fondé sur l’innocuité des PGM alors leurs propres analyses montrent au contraire des effets toxiques. Pourtant, face à ces dossiers incomplets, l’AESA ne demande pas à l’industrie des essais à long terme. Par exemple, dans le cas de l’Amflora, le panel OGM se base sur des études faites sur 90 jours, 10 rats par groupe et un seul groupe nourri avec cet OGM. Elle ne justifie pas pourquoi elle a accepté ce mode de faire. De plus, elle n’a pas tenu compte du fait que des experts de l’OMS ont formellement déconseillé l’utilisation de gène de résistance aux antibiotiques. De plus, récemment, Suzy Renkens, ancienne responsable des OGM à l’AESA, a été embauchée par Syngenta, sans respecter le délai de latence de 2 ans fixé dans le règlement. La commission a pourtant fermé les yeux.
La prolongation du moratoire suisse est-elle une bonne nouvelle?
Oui car la Suisse n’est pas prête pour accueillir des plantes génétiquement modifiées (PGM). La prolongation du moratoire permet une sécurité légale du fait que l’ordonnance sur la coexistence et différents instruments d’application n’existent pas encore. Pour permettre la coexistence, des réglementations dans le monitoring des PGM et la biosécurité doivent être édictées ces prochaines années, afin de garantir la protection des cultures conventionnelles, y compris après la levée du moratoire.
Les politiques ont écouté la population. L’agriculture suisse restera exempte d’OGM pendant 3 ans. Cela permet d’attendre les résultats du PNR 59 (Programme nationale de recherche sur l’utilité et les risques de la dissémination de plantes génétiquement modifiées) qui reconnaîtra peut-être qu’une agriculture exempte d’OGM est plus durable pour la Suisse (rentable économiquement et environnementalement sur le long terme).
A quelles questions le PNR 59 doit-il répondre?
Le PNR comporte un volet d’étude des effets des plantes GM sur l’environnement avec des essais en plein champ, autorisés puisque le moratoire ne concerne que la culture commerciale. La recherche publique développe en général des variétés d’OGM plus intelligentes que l’industrie. Dans le cadre de ces essais en plein champ, nous attendons de l’OFEV qu’il les autorise en suivant les règles ce qui n’a pas été le cas en 2007. Le PNR répondra à quelques questions d’ordre économique notamment les coûts engendrés par la présence de deux filières en Suisse et légales. En outre il comporte des projets visant à étudier les risques liés à l’introduction de blé GM. Malheureusement ce blé GM ne sera vraisemblablement jamais cultivé en Suisse car 1) aujourd’hui aucune culture de blé GM n’existe de part le monde par peur de contamination des filières 2) les agriculteurs ne voient aucune utilité dans ce blé ! Il est légitime de se demander pourquoi 6 millions de CHF (50% du budget du PNR59) ont été investi dans ces projets de recherche… Rappelons qu’en France il est estimé que la séparation des filières (culture, récolte, transport, stockage, transformation, vente) n’est pas viable économiquement car faisant porter des coûts exagérés à la filière sans OGM.
Malheureusement le PNR ne comporte aucun projet d’évaluation des effets des OGM sur la santé à long terme, avec des essais sur des lignées de rats par exemple. Ceci est pourtant une préoccupation majeure de la population ! Le PNR ne comporte aucun projet sur ce thème car les expériences prendraient trop de temps. Mais qui a dit que nous étions pressés ?
Quels sont les objectifs du groupe romand de travail sur le génie génétique d’ici la fin du moratoire ?
Tout d’abord nous allons relancer la campagne » Communes sans OGM » au travers de laquelle les agriculteurs et les agricultrices s’engagent à renoncer à cultiver des OGM. Nous allons plus que jamais continuer notre travail d’information du public car le sujet tombera aux oubliettes médiatiques pendant 3 ans et accompagner attentivement, avec notre pendant alémanique, le PNR 59. Ce dernier pourrait conclure qu’une agriculture sans OGM est plus durable pour la Suisse. Finalement, nous allons unir nos forces et probablement réorganiser notre structure avec nos partenaires afin de pouvoir être plus efficace et prêts pour 2013. Nous aurons besoin du soutien de tous !