Foie gras or not foie gras?

Mets traditionnellement servi durant les Fêtes de fin d’année, le foie gras connaît un succès grandissant en Suisse romande, où la consommation aurait doublé en dix ans, selon l'émission Mise au point.

Pourtant, chaque année au mois de décembre, la polémique autour de ce produit enfle comme un foie de palmipède gavé. L’engouement que le foie gras suscite s’avère paradoxal sous bien des aspects. Ainsi, sa production est interdite dans notre pays par respect pour le bien-être animal. En 2011, ce sont près de 200 tonnes qui ont été importées, essentiellement de France. En parallèle, les voix des opposants au gavage des animaux (voir encadré), opération essentielle et irremplaçable pour obtenir un foie gras, se font de plus en plus fortes.

Migros pour les uns, Migras pour les autres

Autre réalité tout-à-fait représentative de la dualité de ce produit en Suisse: Coop a renoncé à en vendre, depuis 2001 déjà, alors que Migros continue de l’écouler dans ses succursales romandes (mais pas alémaniques) et par le biais de son site leshop.ch. L’enseigne au grand M est donc aujourd’hui le plus grand vendeur suisse de foie gras. Pour combien de temps encore? Mystère. Le distributeur s’est engagé à garantir, d’ici 2020, des conditions d’élevage conformes aux réglementations en vigueur en Suisse pour sa viande importée. Mise au pied du mur par ses propres engagements, la Migros devrait logiquement renoncer à ce commerce juteux. Interrogé par la RTS, son porte-parole parle de «solutions à trouver» sans pour autant confirmer la disparition prochaine  des blocs de foie gras de ses étals. Les pressions émanant des associations de protection des animaux sont pourtant grandes. Depuis Noël 2009, la campagne baptisée explicitement Migras milite durant les périodes de Fêtes pour que Migros bannisse le foie gras de ses établissements.

Les promesses peu convaincantes de la profession

Face à ces attaques, les métiers du foie gras doivent réagir. En France, pays assurant les trois quarts de la production mondiale s’élevant à 27000 tonnes par an, l’interprofession des fabricants de foie gras (Cifog) vient de lancer une démarche de certification visant à garantir les bonnes pratiques dans les élevages. Peu dupe, l’association française de défense des consommateurs Que Choisir dénonce les promesses floues du Cifog et son silence concernant l’alimentation forcée des palmipèdes. La Fédération européenne du foie gras a elle aussi rédigé une charte européenne pour la production de palmipèdes gras, dont le premier point déjà laisse songeur: «Les animaux ne doivent pas souffrir de faim prolongée, mais doivent recevoir un régime suffisant en quantité et qualité appropriée». Disons qu’en période de gavage, la faim n’est pas spécialement source d’inquiétude.

L’arme scientifique utilisée dans les deux camps

En 1998 déjà, un rapport scientifique européen concluait que le gavage porte préjudice au bien-être animal et que des solutions alternatives devaient être trouvées. Depuis, des études scientifiques - qu’on dit financées par le Cifog - prouveraient le contraire, comme celle d’un chercheur de l’Inra concluant que le foie gras n’est pas le résultat d’une maladie ou d’une pathologie et que le gavage et le grossissement considérable du foie seraient un un processus naturel et réversible. Le même chercheur précise que le gavage n’est pas douloureux pour l’animal. Au sein de l’Inra, d’autres scientifiques dénoncent quant à eux les effets négatifs du gavage sur la santé et le bien-être des palmipèdes: dysenterie, halètement, problèmes de régulation de la température, sans compter le taux de mortalité, 6 à 10 fois plus élevé que durant les 12 semaines d’élevage.

Quand un grand Chef vire son fournisseur de foie gras

En 2013, l’organisation de défense des animaux l214 frappait un grand coup en filmant en cachette les salles de gavage de plusieurs fournisseurs de la marque Ernest Soulard, plébiscitée par plusieurs grands noms de la gastronomie française. Des images qui provoquent instantanément le malaise: canards enfermés dans des cages minuscules ne leur permettant même pas d’ouvrir les ailes, signes manifestes de maladies et de malaises… quand ils n’étaient pas carrément morts. Si les palmipèdes destinés à une marque de prestige sont élevés de la sorte, qu’en est-il des autres? Choqué par ces images, le grand cuisinier Joël Robuchon a rompu son contrat avec Ernest Soulard «jusqu’à ce qu’il donne la preuve de meilleurs traitements sur ses bêtes».

Et le consommateur, de quelles preuves peut-il bénéficier? Aucune à ce jour. L’indication IGP du Sud-Ouest garantit que les palmipèdes ont été élevés, abattus et transformés dans la région, mais elle ne renseigne pas sur la qualité du produit fini. Quant au label Rouge des Landes, il n’est pas garant de meilleures conditions de vie durant le gavage. Mieux vaut donc opter pour un foie gras artisanal, issu d’un petit élevage et éviter les produits industriels.