Article : Perspective

«Depuis des mois, on a à lutter contre de forts vents contraires»

6.5.2025, Laurence Julliard / Photo: Giovanni Braghieri

Restrictions budgétaires fédérales, institutions de contrôle fragilisées, cadre légal mis à mal. Les exemples où la voix des consommateurs est oubliée ne manquent pas. Entretien avec Sophie Michaud Gigon, dirigeante de la FRC.



La Suisse, un pays qui cultive l’équilibre entre libertés économiques et protection des citoyens. En réalité, elle accuse des retards dans ses réformes du droit et le porte-monnaie des ménages souffre. Sophie Michaud Gigon est une figure engagée sur ces enjeux. En tant que Secrétaire générale de la FRC depuis 2017 et conseillère nationale depuis 2019. À ce titre, elle fait partie de la Commission de l’économie et des redevances. Ces derniers mois, elle se montre inquiète. Elle s’explique.

Vous dites qu’on devrait se souvenir d’où on vient. Vrai! Rappelons-nous de la force de la rue! Nos boycotts ont fait plier les autorités et le marché. Puis cette initiative populaire, grâce à laquelle la FRC a obtenu une surveillance des prix. La Suisse a ensuite connu une période de croissance et de développement grâce à ces acquis. Je retiens aussi l’apport de Simonetta Sommaruga, d’abord comme dirigeante du Konsumentenschutz, notre allié alémanique, puis comme parlementaire et conseillère fédérale. Au début, elle a porté le projet d’action collective, suite à la volonté du Parlement de 2013.

La voix des consommateurs est-elle moins écoutée aujourd’hui? C’est comme si l’on subissait une forme de relativisation du poids des ménages dans la société et de l’importance que peut avoir la défense des consommateurs et de leur information. Pourtant, les ménages, c’est plus de la moitié du PIB. Ils restent un acteur essentiel de notre économie. Mais on l’oublie. On est peu à peu entré dans un autre monde, avec un point de bascule lors des dernières élections fédérales. Les règles sont bafouées, elles ont moins d’importance. C’est vrai à l’étranger aussi; on se dit donc que c’est peut-être un modèle à suivre… Or les règles (économiques) sont capitales pour les clients, les PME et les ménages.

INSTITUTIONS FRAGILISÉES

Quel est le principal problème, selon vous? Il y a plusieurs secteurs où les institutions de contrôle ou de surveillance ont été attaquées ou affaiblies. Avant la crise de Credit suisse, la Finma a été sous forte pression politique. Ce sont moins ses compétences que son rôle d’autorité de contrôle du marché financier qui a faibli sous la pression politique et la gouvernance du Conseil fédéral. La même tendance pourrait toucher la Comco. La Commision fédérale de la concurrence est dans le viseur de motions parlementaires qui, sous prétexte d’améliorer son efficacité, visent à restreindre son champ d’action sur la base de quelques décisions judiciaires qui ont déplu, notamment à la branche de la construction. Or il faut faire l’inverse: élargir ses compétences, la laisser enquêter.

Et vous, comment définiriez-vous l’efficacité? La Suisse a un vrai problème avec l’îlot de cherté. Pour la Comco, c’est une question de procédure: quand le Tribunal administratif fédéral met dix ans pour trancher une affaire de concurrence, ce n’est pas tenable pour les sociétés concernées. Il s’agit aussi d’une question de moyens d’action: elle devrait mener des enquêtes sectorielles, moins lourdes et plus fréquentes, et ainsi faire un travail de veille du marché et d’éventuelles positions dominantes.

«Je suis favorable à rendre toutes les institutions efficaces, c’est une valeur cardinale pour la FRC, mais pas sous un prétexte fallacieux.

La FRC a d’ailleurs un représentant à la Comco. Oui, c’est le siège des consommateurs. Cela nous permet de faire remonter des informations ou des expériences du terrain. Notre expertise juridique est complémentaire à celle d’autres professionnels, comme des professeurs de droit. Quand le Conseil fédéral pense à réformer la Comco, il imagine la réduire à cinq membres au lieu de onze, dans l’idée de la professionnaliser. Pour nous, ce n’est pas envisageable, il faut garder le lien avec le terrain!

Avec quels moyens d’action? Je mène des discussions dans l’optique d’un dépôt parlementaire en juin. Si l’on veut réformer la Comco, on doit aller dans le sens d’un élargissement de ses compétences et d’une amélioration de la surveillance du marché. La FRC a d’ailleurs déjà proposé qu’on accroisse les compétences du Secrétariat à l’économie. Lui doit attendre d’avoir un seuil critique de plaintes des consommateurs pour agir contre une entreprise. C’est aberrant. Monsieur Prix devrait aussi avoir plus de moyens d’action, on l’a vu avec son rapport caviardé sur les marges du bio. Si le marché fonctionne, si les firmes sont traitées équitablement, alors vous êtes dans un modèle tout à fait libéral, sans frein à la croissance économique.

À vous écouter, la crise des institutions est sérieuse… Les exemples se multiplient, oui, et au détriment des enjeux de consommation! Les réformes touchent aussi certaines commissions extra-parlementaires qui réunissent différents acteurs d’un domaine précis. La Commission fédérale de la consommation (CFC) en est une bonne illustration. Elle est soumise à un audit dans le cadre du programme d’économies que le Conseil fédéral a présenté en janvier. Son existence ne pèse pourtant rien sur les 80 milliards de budget de la Confédération. Elle a pour fonction d’agir comme un petit aiguillon, elle apporte une expertise grâce aux membres qui y siègent, et permet une coordination sur les thèmes FRC avec des milieux économiques et leurs faîtières. Avant d’être parlementaire, j’y siégeais pour la FRC. On y avait traité du commerce en ligne en profondeur. C’était avant 2019; aujourd’hui, le sujet est partout. La CFC permet d’empoigner certaines problématiques ensemble. Si elle disparaît, il faudra recréer un autre espace d’échange, ce n’est pas si simple.

«L’information des consommateurs est un mandat constitutionnel. Le Conseil fédéral délègue cette compétence à plusieurs acteurs, dont la FRC. Encore faut-il pouvoir travailler, entre autres, avec des institutions de contrôle.»

LOIS MISES À MAL

Revenons à l’îlot de cherté. L’interdiction du geoblocking (soit le fait que les entreprises étrangères bloquaient les transactions des Suisses sur internet pour les rediriger vers un site en .ch, ndlr) est une belle avancée. Oui, mais il y a un mais. Alors que la loi est entrée en vigueur en 2022, une nouvelle révision partielle de la Loi sur les cartels est sur la table. Elle va dans le sens inverse à une meilleure lutte contre l’îlot de cherté. Ce retour en arrière est regrettable: on n’a pas encore mesuré les résultats tangibles pour le porte-monnaie des Suisses. Il va falloir s’y opposer en juin quand elle passera au Conseil national. C’est un nouvel exemple de vents contraires que j’observe dans la défense de la concurrence et des consommateurs.

Le programme d’économies du Conseil fédéral dont vous parliez vise à économiser 2,7 milliards dès 2027. Le projet crée beaucoup de remous, mais quel est l’impact sur les consommateurs? D’abord, la Confédération se désinvestit des politiques énergétiques. Elle ampute de 54 millions le budget prévu pour soutenir le remplacement des chauffages fonctionnant aux énergies fossiles. Le Conseil fédéral s’attaque aussi au programme Bâtiments qui soutient les propriétaires dans la rénovation des logements. Le projet en consultation prévoit de couper environ 400 millions chaque année. Une partie des mesures sera financée via la taxe sur le CO2, alors que cette manne devrait revenir à la population et aux entreprises. C’est donc moins de soutien pour la transition énergétique de la part de l’État, et plus à payer de sa poche. On se rapproche d’un déni démocratique, parce qu’on biffe des choses déjà votées, soit au niveau du Parlement, soit au niveau du peuple.

La FRC s’est exprimée sur les OGM récemment.  En effet, et elle va prochainement se prononcer sur la Loi spéciale que propose le département d’Albert Roesti. Ici, il y a une volonté délibérée de préparer le terrain pour introduire les nouvelles techniques de génie génétique sans que les consommateurs en soient correctement informés. Dans le paquet d’économies, le Conseil fédéral propose donc aussi de biffer l’article de la Loi sur le génie génétique qui l’enjoint à étendre la connaissance de la population sur les chances et les risques des OGM. C’est l’information de la population qui est attaquée, donc forcément la FRC monte au créneau. J’ai encore un exemple avec le transport régional. Le paquet d’économies fédéral occasionnera un report sur les cantons, comme dans beaucoup d’autres domaines. Ils vont à coup sûr répercuter ce report sur les consommateurs ou diminuer clairement l’offre. La FRC répondra à la consultation fédérale en détails pour dire son désaccord.

«On se rapproche d’un déni démocratique, parce qu’on biffe des choses déjà votées, soit au niveau du Parlement, soit au niveau du peuple.»

Vous n’avez pas mentionné la santé, un gros souci pour le porte-monnaie des assurés?  Oui, l’impact est massif pour les ménages mais il n’y a malheureusement rien de nouveau à dire!

Et l’action collective, alors?  C’est effectivement le meilleur exemple de la faiblesse des outils qu’on a actuellement en Suisse, parce que, contrairement à d’autres pays, nous n’avons pas cette possibilité de nous regrouper pour être plus fort. Au départ, le dossier était bien emmanché, mais les attaques ont été très fortes. La FRC a engagé un incroyable travail d’expertise et de conviction pour démonter des arguments qui n’étaient pas vraiment fondés. Mais au changement de législature, avec la nouvelle composition de la Commission juridique du Conseil national, on s’est retrouvés dans une situation où même des arguments sans aucune validité étaient écoutés.

C’est-à-dire…?  Ces dix-huit derniers mois, j’ai ressenti moins d’ouverture sur la défense des consommateurs, davantage de lobbyisme, de dogmatisme et de rigidité. Et aussi moins de connaissances sur le sujet: plus on essayait de livrer d’éléments, moins ils étaient lus! C’est désespérant, forcément…

La FRC met d’autres faiblesses législatives en lumière en 2025. Je pense au combat que la FRC a lancé sous l’intitulé Poker menteur.  La Loi contre la concurrence déloyale (LCD) est finalement une des seules procédures qui défend les consommateurs. Sauf qu’elle montre ses limites. On le voit au quotidien, notamment en lien avec les allégations mensongères.

NUMÉRIQUE: NOUVEAU PARADIGME

En parlant de l’îlot de cherté, vous avez évoqué le e-commerce. Quel est le souci?  Cette branche explose et inonde le marché avec des objets potentiellement dangereux. L’an dernier, nos tests comparatifs ont montré des problèmes qui touchent potentiellement la santé des gens. Or réduire la contribution dédiée aux activités de contrôle dont on parlait ne garantira pas la sécurité des produits. Déjà que les contrôles sont limités par la loi, qu’ils sont complexes et pas assez fréquents, si maintenant vous les baissez, vous augmentez la part de risques. C’est une des raisons pour lesquelles la FRC thématise beaucoup la nécessité d’une régulation des plateformes en ligne. Là encore, on attend impatiemment le projet du Conseil fédéral qui a trait aux plateformes de communication, réseaux sociaux, etc.

Vous incluez les aspects liés à l’information des consommateurs?  La manipulation et la désinformation massives des populations, plutôt. Je considère que ce sont des dangers réels pour la démocratie si les gens ne sont plus informés correctement. Si les biais des plateformes numériques ne sont pas atténués et montrés, comment voulez-vous que les gens se mobilisent, qu’ils prennent en main certaines choses et agissent? Au niveau international, les règles du jeu changent, on assiste à la loi du plus fort. Mais ce serait un sujet en soi!

Des réseaux, , des relais à l’étranger, la FRC en a plusieurs. Qu’ont-ils que la Suisse n’a pas?  Nos homologues européens ont certains outils de défense et de mise en œuvre que nous n’avons pas, certaines procédures qui illustrent les lacunes suisses, des exemples qu’on utilise pour convaincre. Je pense à l’Italie, par exemple, en matière de pratiques déloyales. On a un sacré bout à faire en Suisse en matière de sanctions et d’autorités de contrôle.

Comment combattez-vous la sinistrose ambiante?  Agir me rassure et m’empêche de déprimer. Cela me mobilise, me procure du plaisir et de l’énergie positive. C’est ce que je trouve à la FRC, cela me nourrit. Malgré un sentiment d’impuissance par moments. Et les petites victoires, d’autant plus quand elles sont liées à un travail persévérant, je les déguste aussi.

Quelles solutions imaginer?  Il y a plusieurs pistes. J’en nommerai une. Dans le cadre de du gros projet de réforme numérique de la FRC, on vise à encourager les gens à nous rejoindre, à se mobiliser, à davantage témoigner sur leurs mésaventures. Un combat part toujours de la base, le terrain. C’est pour ça que nous voulons leur faciliter la possibilité de nous faire remonter les choses.

Un retour aux sources, en quelque sorte?  C’est ça, revenir à la rue, à la mobilisation des gens. Avant, en lien avec la régulation des plateformes, je parlais de réveil citoyen. C’est le réveil d’un mouvement qui a un pouvoir économique (on l’a dit: plus de la moitié du PIB!), qui peut en avoir plus s’il est uni et qu’il se rend compte qu’il a un levier d’action. À nous, la FRC, de le coordonner. De par notre implication dans des réseaux internationaux, on a d’autres leviers importants aussi.

«Même si nous faisons le maximum à Berne, nous aurons tout de même besoin d’une large pression de la population.»

Nous sommes tous concernés? Finalement, quelles que soient vos valeurs politiques, vous avez forcément dans votre entourage des gens qui subissent une arnaque ou l’autre, des gens qui veulent se nourrir en connaissance de cause, qui ont envie d’acheter des produits sûrs et qui ne découlent pas d’un commerce irrespectueux pour les enfants et que sais-je. Chacun de nous, en tant que consommateur, est touché au quotidien par ces sujets.

Et à vos enfants, que leur dites-vous? Ils sont heureusement assez sélectifs dans leur perception de la marche du monde pour l’instant. Ils ont leurs soucis d’enfant: les potes, PlayStation ou pas PlayStation, un bon repas qu’ils aiment, un test à l’école plutôt qu’une bonne note dans un test comparatif de la FRC. Parfois, ils me rabrouent quand je les rends attentifs au risque de certaines plateformes ou à la nécessité d’acheter certains produits plutôt que d’autres. Mais ils sont sensibilisés, parce qu’ils en parlent en partie à leurs amis. Donc, on sème quelques graines quand même.

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Interpellation des grands distributeurs

 
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Les dates de la tournée romande #Ramènetafraise

29.05.21Marché de Boudry (NE)
01.06.21Marché de Neuchâtel (NE)
02.06.21Marché de La Chaux-de-Fonds (NE)
04.06.21Marché de Fleurier (NE)
05.06.21Gare de Lausanne (VD)
12.06.21Gare de Genève (GE)
08.06.21Place fédérale (BE)
12.06.21Marché de Delémont (JU)
15.06.21Gare de Delémont (JU)
19.06.21Marché de Fribourg (FR)
27.09.21Festi’Terroir Genève (GE)
28.08.21Festi’Terroir Genève (GE)
28.08.21Objectif Terre Lausanne (VD)
29.08.21Festi’Terroir Genève (GE)
29.08.21Objectif Terre Lausanne (VD)
09.09.21Semaine du goût Sion (VS)
25.09.21Concours suisse des produits du terroir Courtemelon (JU)
26.09.21Concours suisse des produits du terroir Courtemelon (JU)
05.10.21Les Jardins du Flon, à Lausanne (VD)
16.10.21Epicerie fine Côté Potager, à Vevey (VD)