18.12.2019, Laurianne Altwegg et Elliot Romano
À l’heure de la transition énergétique, que valent les produits verts et que consomme-t-on réellement?
L’électricité est souvent présentée comme une énergie propre, comprenez par là «décarbonée». Surtout en Suisse où la production ne provient qu’à 5% de centrales thermiques. Le reste se répartit à hauteur de 55% pour l’hydraulique, 36% pour le nucléaire et 4% sont issus de sources renouvelables: bois, biogaz, solaire, éolien. Dans les faits, on oublie que ce que l’on produit ne correspond pas à ce que l’on consomme. Comme l’électricité se stocke peu, à part dans les lacs, il est nécessaire d’équilibrer constamment le réseau entre offre et demande pour éviter le tant redouté «black-out». L’électricité doit circuler en permanence et, le réseau étant interconnecté avec celui de nos voisins, des échanges s’opèrent avec toute l’Europe. Dont la production va de l’éolien au charbon.
Voilà pourquoi opter pour un produit «vert» contribue certes au développement de telles énergies, mais ne permet en rien de consommer un électron plus propre que celui du voisin de palier qui aurait décidé de rester à l’énergie grise non labellisée. Choisir ce type de produit garantit uniquement que l’équivalent de sa consommation sera produit à partir de sources hydraulique, solaire, éolienne et injecté dans le réseau européen.
Marquage et transparence
Grâce au système des «garanties d’origine» (GO), on s’assure ensuite qu’un kilowattheure (kWh) de courant solaire, par exemple, n’est pas vendu à double au consommateur. A chaque volume d’électricité produit par une installation, renouvelable ou non, est en effet adossé un volume de GO correspondant. Ces certificats sont développés à l’échelle européenne dans le but de soutenir les investissements dans les énergies renouvelables. Selon la Loi suisse sur l’énergie, chaque fournisseur doit non seulement approvisionner ses clients en énergie, mais aussi la «marquer» au moyen des GO. Au total, ces garanties doivent correspondre exactement au mix énergétique fourni par l’entreprise. Chaque client reçoit cette information au moins une fois par an; il peut aussi s’informer directement sur la plate-forme marquage-electricite.ch. Le système confère certes une meilleure traçabilité du courant utilisé. Toutefois, il est loin d’être aussi transparent qu’il y paraît. Car contrairement à l’électricité qui est obligatoirement produite en même temps qu’elle est consommée, les GO ne garantissent pas une concomitance de la production avec l’utilisation. De plus, elles peuvent aussi provenir de sites sans lien avec le fournisseur. Tout comme des instruments financiers, elles sont négociées sur des places de marché. Cela implique que l’électricité consommée à un moment donné peut être marquée par un certificat associé à un volume d’électricité produit à un autre moment de l’année. C’est ainsi qu’on profite de l’énergie solaire en plein cœur d’une nuit hivernale. Ces mécanismes cachent ainsi la réelle empreinte environnementale de l’électricité consommée en Suisse, ce que certains fournisseurs ont bien compris en vantant la durabilité de leur approvisionnement auprès de leurs clients.
En clair, si la production indigène est effectivement peu carbonée – 28g d’équivalent CO2 par kWh (notés CO2-eq/kWh) selon des études mandatées par l’OFEV – le bilan s’alourdit lorsque l’on s’intéresse à la somme des importations et exportations de courant en provenance ou vers des pays avoisinants disposant de mix de production à forte teneur en carbone. Celle-ci n’est pas anodine puisqu’elle représentait 66 milliards de kWh en 2018 pour une consommation annuelle de 57,6 milliards de kWh, selon les chiffres de l’OFEN.
Connaître son impact réel
Une méthodologie permettant de mieux prendre en compte ces échanges d’électricité et de mettre en lumière l’impact environnemental de notre consommation a d’ailleurs récemment été développée dans le cadre d’études récentes de l’Université de Genève et de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne. Si les approches de ces institutions diffèrent, leurs résultats sont très proches: les émissions de CO2 liées à la consommation électrique suisse sont estimées à environ 200g CO2-eq/kWh. En clair, un sixième de la consommation suisse serait issu des centrales à charbon allemandes. Rien d’étonnant au final quand on sait que la Suisse est particulièrement dépendante des importations en hiver, lorsque l’hydraulique est au plus bas et qu’elle importe massivement son courant de France et d’Allemagne.
Une meilleure transparence du mécanisme des GO pour améliorer la représentativité de l’empreinte environnementale de l’électricité serait donc bienvenue. Sans quoi les fournisseurs continueront à exploiter les limites du système, et le particulier sera toujours incité à investir dans des produits d’électricité verte, sans pour autant connaître le véritable impact de sa consommation sur l’environnement.