Chocolat noir

Plongée dans l’univers méconnu du labo

Croquer dans un carré cacaoté, le geste est anodin. Sauf pour le panel d’experts de Changins qui goûte à l’aveugle le chocolat noir. Reportage et test.
Alimentation

Archive · 04 décembre 2018

Dévoré en plaque au goûter, au café, devant la TV. Avalé en lapin ou poisson à Pâques. Englouti en barre à la récré. Dégusté en gâteau à chaque occasion festive. Tout prétexte est bon pour avoir du chocolat à portée de main. Le Suisse, recordman du monde, en consomme près de 12 kilos par an. Une denrée de luxe devenue banale?

Pas pour la petite vingtaine d’experts installée au 2e étage de la HES-SO de Changins. Leur mission: effectuer une analyse sensorielle de chocolat noir pour ce dernier test de l’année. Une fois n’est pas coutume, ils ont mis le vin au rancart durant quelques lundis pour se consacrer à ce produit aux vertus multiples.

Les experts du panel externe que la FRC a rencontrés ont des profils extrêmement variés: le jour, ils sont vigneron, banquier, ostéopathe… Le lundi soir, ils se retrouvent pour participer à des études. Ils sont une quarantaine à avoir été entraînés depuis des années aux saveurs et aux odeurs.

Ce 22 octobre, seize spécialistes participent à l’étude sur le chocolat noir. Pascale Deneulin, professeure d’analyse sensorielle, met l’équipe en condition, apportant une petite dizaine de boîtes noires. Elles sont estampillées «vanille», «cacahuète», «café brûlé», «crème fraîche», «cacao» ou «foin chauffé». «Elles permettent de remémorer les séances d’entraînement où l’on a ressorti les odeurs caractéristiques du chocolat noir», explique Eve Danthe, assistante, tandis que les dégustateurs les reniflent une à une.

Simplement croquer et noter? Grossière erreur! Les experts se sont en effet durement entraînés durant quatre séances. Le premier lundi, une génération de vocabulaire a été listée, caractérisant et différenciant les dix chocolats du point de vue de l’aspect, des arômes, des textures et de l’impression générale. La pertinence de chacun des descripteurs – de ces différents poins de vue – a été validée le deuxième lundi. Trois descripteurs hors normes y ont été ajoutés: l’appréciation hédonique, l’exemplarité du «chocolat noir» à croquer et le niveau d’écoeurement. Pascale Deneulin souligne que «ces critères-là ne sont normalement pas évalués, mais permettent ici de donner une idée».

Dégustation codifiée

La liste ainsi faite, cinq chocolats ont pu être dégustés dans les règles de l’art. Aujourd’hui, le panel s’attaque aux cinq derniers échantillons. Les séances ont été scindées en deux, «cela a pour but que les papilles ressentent moins la fatigue», indique Eve Danthe. A travers la fenêtre des cabines d’analyse, des morceaux de chocolat d’environ 10 grammes sont distribués à chacun. Hormis leur code à trois chiffres, impossible de les identifier, car ils ont été légèrement chauffés au fer à repasser afin d’enlever tout signe distinctif! Anonymat et traçabilité doivent être parfaitement respectés.

La fenêtre coulissante se referme, permettant une dégustation sans influence aucune. Seul dans sa cabine, le spécialiste croque, le morceau craque. A-t-il un goût boisé absent ou très intense? Une acidité absente ou très intense? Une texture lisse ou granuleuse? Les 23 descripteurs et les avis s’enchaînent, jusqu’à la minute de pause bienvenue. «Rincer bien vos papilles avant la suite», lit-on sur un écran.

La dégustation terminée, les experts sont enfin autorisés à découvrir les emballages correspondant aux dix carrés. Leur préféré finira-t-il premier? Celui à l’odeur de poussière bon dernier? La réponse en tableau!

Lire le test des chocolats noirs sur test.frc.ch

Le label, important!

Parce que les intérêts économiques priment malheureusement sur les intérêts humains, ce bien précieux qu’est le cacao est dévalué. Le marché de cette fève miraculeuse souffre de nombreux maux que l’organisation suisse Public Eye dénonce: situation misérable des producteurs d’Afrique de l’Ouest, enfants esclaves, déforestation, appauvrissement et pollution des sols assombrissent ainsi un tableau en apparence lumineux.

Dès lors, comment agir en tant que consommateur? Raisonnablement, en diminuant sa consommation (lire l’autre encadré) et en redonnant au chocolat ses lettres de noblesse. En optant enfin pour des produits éthiquement et environnementalement responsables… tout en ayant conscience que les garanties sont extrêmement difficiles à obtenir. Emblématique de ce mouvement, le label Fairtrade bénéficie d’un cahier des charges imposant dont les applications demeurent toutefois difficiles à concrétiser, d’une part, et à vérifier, d’autre part. Reste qu’il vaut mieux privilégier un chocolat estampillé Fairtrade plutôt qu’UTZ ou Rainforest Alliance, deux labels aux exigences insuffisantes. Et favoriser les produits indiquant la provenance du cacao.

L’avis de l’artisan

Christophe Moret, artisan chocolatier à Lausanne et Yverdon, est l’un des rares à travailler la fève de cacao.

Un chocolat est considéré comme noir dès qu’il contient entre 43 et 100% de cacao et de beurre de cacao, le reste étant principalement du sucre. Au-delà de cette donnée factuelle, comment savoir si l’on mange un vrai bon chocolat noir? Grâce à sa longueur en bouche. Si vous ressentez encore les arômes cinq minutes après, c’est un bon produit. S’il est élaboré industriellement, vous aurez souvent un très fort goût de cacao au départ, qui s’en ira rapidement pour laisser la place à une note de vanille. Cela veut dire que la fève aura été torréfiée trop fortement.

Peut-on reconnaître la provenance d’un chocolat au goût?

Ceux d’Amérique du Sud, centrale et des Caraïbes seront fruités et harmonieux, tandis que ceux d’Afrique auront plus de puissance en cacao. Si vous goûtez un chocolat de Madagascar, il aura par contre des notes plutôt fruitées. Ceux d’Indonésie, du Vietnam et de Java sont particuliers; naturellement plus fumés, ils ne conviennent pas à tout le monde. Il faut aussi savoir que cela bouge en Afrique. Alors que la Côte d’Ivoire est tristement célèbre par ses cultures intensives, certains producteurs se mettent au bio, à d’anciennes variétés… Il devient difficile de généraliser.

Conseillez-vous un moment en particulier pour le déguster?

En tablette ou pas? Le chocolat, c’est tellement personnel! Qu’il soit blanc, au lait ou noir, il s’agit toujours d’un moment lié au plaisir. Vous pouvez tout aussi bien le manger au bureau, après un repas, ou uniquement le week-end. Avec un chocolat de qualité, un ou deux carrés seront de toute manière amplement suffisants, car avec leur longueur en bouche, la satiété est rapidement ressentie. D’où l’importance de privilégier de bons crus et de prendre le temps de les déguster! Nous autres artisans élaborons aussi des tablettes. Cela répond à une demande croissante de clients amateurs exigeants. Mais c’est plus pour une consommation personnelle que pour un cadeau!

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