Enquête de terrain
CBD: le marché flambe mais manque de cadre
Archive · 15 septembre 2021, Mis à jour le 01 février 2022


Sandra Imsand
Journaliste
À en croire les sites de médecine parallèle ou les influenceurs sur les réseaux sociaux (lire encadré ci-dessous), le CBD – ou cannabidiol – serait la panacée contre l’angoisse, le stress, les douleurs d’origine articulaire, musculaire et menstruelle, l’insomnie, les vomissements, l’épilepsie, l’acné. La liste des maux soignables est longue. De même, la part des produits qui contiennent cette substance ne cesse de s’allonger: fleurs destinées à être fumées, infusées ou vaporisées, cosmétiques, liquides pour e-cigarettes, bonbons, huiles, etc. Le tout avec des concentrations allant de 5 à 40%.
Des substances contenues dans le cannabis, le cannabidiol est la deuxième plus importante en termes de concentration après le THC (tétrahydrocannabinol). Mais contrairement à ce dernier, le CBD n’a pas d’effet psychotrope. Les fleurs de chanvre à teneur élevée en CBD et contenant moins de 1% de THC ne sont pas soumises à la Loi sur les stupéfiants.
En 2016, la Suisse a légalisé la production de chanvre CBD. Depuis, on trouve des produits en magasin spécialisé, supermarché et kiosque. Ces points de vente très variés attirent une clientèle qui l’est tout autant (lire encadré ci-contre), y compris animale.
Depuis des arrêts du Tribunal fédéral en 2020, les fleurs de cannabis légales ne sont plus considérées comme un produit de substitution du tabac ni soumises à un impôt. La Confédération n’a donc plus de vision d’ensemble sur le marché. «On peut déduire un chiffre d’affaires d’environ 52 millions de francs en 2017, 60 millions en 2018 et 54 millions en 2019», selon Donatella Del Vecchio, porteparole de l’Administration fédérale des douanes. Un marché intéressant, d’autant plus que ces chiffres ne comprennent pas les autres produits CBD prêts à la consommation, parmi lesquels les cosmétiques, les huiles, les compléments alimentaires.
C’est justement dans cette catégorie que la progression est spectaculaire, car elle constitue une porte d’entrée pour qui souhaite tester les effets du CBD. Cependant, même si on lui a attribué un intérêt en matière de santé, il ne s’agit pas d’un médicament. Il ne peut donc pas être promu comme tel. Les propriétés thérapeutique n'ont pas ou peu été étudiées et ses effets médicinaux sont controversés.
Afin d'en savoir plus sur ces produits, nos enquêteurs ont évalué sur le terrain les conseils dispensés dans les points de vente. Leur cadre d'investigation: se renseigner plus précisément sur l'huile CBD pour lutter contre le stress. Plus de trente visites ont été effectuées dans les cantons de Genève, Fribourg, Neuchâtel et Vaud. La plupart de nos clients mystères ont estimé avoir été relativement bien informés. Sans surprise, les réponses ont paru plus limpides et complètes dans les magasins spécialisés que dans les pharmacies ou points de vente généralistes. La différence entre CBD et THC a également été abordés, parfois très sommairement, parfois de manière plus approfondie. "La vendeuse m'a dit que le THC était illégal et pouvait avoir des effets psychotropes, raconte ainsi une enquêtrice du Nord vaudois. Elle a ajouté que pour certains métiers (pompier) ou convictions religieuses, 1% de THC pouvait être problématique.» Les clients mystères devaient aussi évaluer si les conseils dispensés entraient dans la sphère médicale. Là, le résultat est mitigé. Comme dans ce point de vente fribourgeois qui a largement flirté avec les limites: «Le patron a énuméré plusieurs vertus du CBD, glissant aussi qu’il ne devrait pas me le dire. Il a ajouté que les HUG et le CHUV collaboraient pour avoir des produits destinés aux patients.»
Étiquetage lacunaire
Mais ce qui pèche largement, c’est l’information sur les flacons. Alors qu’il est recommandé d’avaler quelques gouttes par jour, deux emballages indiquent par un pictogramme ou une phrase que le produit ne doit pas être consommé. Un autre indique «huile pour le corps». Des précautions qui s’expliquent sans doute par le statut de ces produits: objet usuel, alimentaire, ou cosmétique. La composition, les rares fois où elle est disponible, permet de voir que le chanvre est dilué dans de l’huile d’olive, de coco, de tournesol, de pépins de raisin ou de graines de chanvre. L’élément est à garder à l’esprit en cas d’allergie.
Un grand bonnet d’âne aux points de vente Kaya Shop: l’emballage sommaire est bien trop lacunaire. «J’ai fait part de ma surprise sur le peu d’indications sur le flacon. Le vendeur m’a expliqué que c’était eux qui mettaient en bouteille et faisaient l’étiquette. Le patron ne veut pas donner le nom du fournisseur, de crainte que je ne me fournisse directement chez lui», relate une Vaudoise. Qui avoue ses réticences à l’égard de cette huile. «Je n’oserais jamais utiliser ce produit.»
Conclusion: ne pas hésiter à poser des questions, à regarder attentivement un flacon… et le reposer quand on n’est pas convaincu. Il faut garder à l’esprit que le marché du CBD n’est pas encore à maturité. Ces produits figurent très souvent sur le site RecallSwiss, qui recense les mises en garde publiques concernant ceux qui doivent être retirés du marché pour des raisons de protection de la santé. Entre le 2 et le 3 août dernier, pas moins de cinq huiles produites en Suisse ont été rappelées car leur taux de THC dépassait, parfois même largement, 1%.
Le rôle des influenceurs
Le CBD a la cote sur les réseaux sociaux. Depuis quelques mois, des influenceurs mènent de grosses campagnes de séduction, rabais sur l’achat à l’appui: ici, un sportif qui vante les qualités du produit pour détendre les muscles, là un coach en bien-être ses propriétés calmantes ou un artiste qui évoque l’effet positif du CBD sur son anxiété. Ces opérations sont orchestrées par des agences de communication, qui rémunèrent les instagrammeurs en échange d’une exposition auprès de leur audience. Il s’agit de prendre du recul face à ce genre de publicité qui, souvent, n’est pas identifiée comme telle.
Qui utilise du CBD?
- Addiction Suisse s’est penchée sur la question du CBD dans le pays sur mandat de la Confédération. Cinq profils types ont été identifiés en 2019.
- Des usagers de cannabis illégal plutôt jeunes qui modèrent/ panachent leur consommation avec du CBD. Il s’agit de loin du profil le plus fréquent parmi les personnes interrogées.
- Des malades, recourant à la fois au CBD et au cannabis illégal sous forme de fleurs. Leur fréquence d’utilisation et leurs dépenses sont les plus élevées.
- Des jeunes consommant du CBD en plus du cannabis illégal pour des motifs liés au bien-être (stress, sommeil).
- Des femmes, plus âgées que les autres groupes de l’étude, consommatrices de CBD sous forme d’huile pour raisons médicales et/ou de bien-être.
- Des curieux qui consomment du cannabis illégal et s’intéressent aux effets du CBD.
Mise à jour février 2022
Une analyse des chimistes cantonaux confirme les craintes de la FRC: 85% de produits CBD non conformes!Les chimistes cantonaux de Suisse ont lancé une grosse opération sur les denrées alimentaires contenant du cannabis. Dans leur viseur: le respect des exigences légales, la composition, la teneur en THC et les allégations thérapeutiques illicites. Les résultats sont inquiétants. Sur 100 produits testés, 85 ont été jugés non conformes. Une interdiction de vente a même été prononcée pour 73 d’entre eux.Pis, 28 produits présentaient même un risque avéré pour la santé et ont été l’objet de rappels. Les huiles de CBD s’en sortent particulièrement mal: 43 des 46 produits testés étaient non conformes.Il est indispensable que ce marché en pleine expansion soit cadré pour assurer la protection des consommateurs.
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