Ethique
Une tablette aux dessous bien sales
Archive · 05 mai 2015


Lionel Cretegny
Responsable Tests comparatifs
Laurence Julliard
Journaliste
Parions que votre tablette est de marque américaine, à moins qu’elle ne soit sud-coréenne ou taïwanaise. Ces trois pays se taillent en effet des parts de lion dans ce marché, mais la fabrication des produits high-tech se passe ailleurs. En Chine, pour une part toujours très large, mais aussi en Malaisie, en Thaïlande, au Vietnam, là où les salaires frôlent le plancher. Ainsi, sur une tablette vendue 475 francs, les pièces représentent une somme de 208 francs et la main-d’œuvre même pas 10 francs. A l’heure où la responsabilité envers les ouvriers et la planète devient une stratégie d’entreprise, les marques peinent – c’est un euphémisme – à faire bonne figure. Du coup, le consommateur n’a d’autre choix que d’acquérir un produit peu reluisant.
Pour avoir une image plus précise de la réalité sur le terrain, nous avons mandaté, avec nos confrères internationaux, Danwatch, une ONG spécialisée dans l’investigation en matière de politique sociale et environnementale. Elle avait notamment pour mission de frapper aux portes d’usines détenues en propre par dix marques de tablette ainsi que chez leurs sous-traitants, et d’envoyer une série de questionnaires aux dirigeants pour connaître leurs exigences en la matière.
Seul Samsung a joué le jeu de la transparence. Le sud-coréen tient à démontrer l’amélioration de ses conditions de travail. Car il a un blason à redorer auprès du grand public, après le scandale qui l’avait éclaboussé en 2011. A l’époque, de nombreux ouvriers exposés à des substances toxiques en fabriquant des micropuces avaient contracté des leucémies à l’issue parfois fatale. Les autres n’ont, d’une manière ou d’une autre, pas collaboré. Acer, Asus, Lenovo ont répondu aux questions sans ouvrir leurs usines, se réfugiant derrière un accord de non-divulgation. D’autres ont purement et simplement opposé une fin de non-recevoir à notre démarche. Dans ces cas-là, nous n’avons pu que nous baser sur des documents officiels et des sources publiques.
L’enfer du travailleur en Malaisie
Le résultat n’est guère réjouissant. Côté humain, le salaire vital minimal et la limitation des heures supplémentaires peinent à s’imposer, plus encore au sein des entreprises sous-traitantes que chez les marques elles-mêmes. La Chine, éternel mouton noir industriel, a pourtant vu les conditions de travail de ses ouvriers s’améliorer légèrement. Moins à cause de scandales récurrents (dont des taux de suicide élevés dans les usines) que par l’évolution démographique qui provoque une pénurie de main-d’œuvre. Vus d’ici, les «progrès» sont tout relatifs: les ouvriers alignent 51 à 52 heures par semaine, et le salaire minimum est passé de 340 à 440 francs par mois environ.
Du coup, même si une tablette sur deux est encore assemblée en Chine, les fabricants se détournent progressivement de l’Empire du Milieu pour trouver une main-d’œuvre moins chère et plus corvéable encore sous d’autres cieux. A ce propos, des informations inquiétantes nous parviennent de Malaisie. Elles concernent le traitement réservé aux 200 000 immigrés originaires du Bangladesh, du Népal, d’Inde, de la Birmanie ou du Vietnam. Nombreux sont ceux qui se sont fait confisquer leur passeport à leur arrivée dans le pays. Pour le récupérer, ils sont souvent contraints de le «regagner»: les chiffres articulés correspondent à l’équivalent d’une année de travail, à coup de journées interminables et de salaires au lance-pierre. Apple aurait été le premier à réagir. D’après le fabricant, 18 des 30 usines malaises avec lesquelles il traite auraient été auditionnées. Toujours selon lui, si des travailleurs exploités avaient dû payer pour y travailler, ils auraient déjà été remboursés. Une assertion qui reste à vérifier.
Autre triste réalité, le recours grandissant à une main-d’œuvre temporaire. On voit l’avantage qu’y trouvent les entreprises: avoir peu de collaborateurs permanents leur permet de se soustraire à l’obligation d’avoir un syndicat interne et d’instaurer un code de conduite. Créer sciemment de mauvaises conditions de travail pour les ouvriers génère des taux de rotation importants et justifie la difficulté, voire l’impossibilité d’améliorer la situation.
Matières premières «sales»
La production de tablettes ne nuit pas qu’à la qualité de vie et à la santé des ouvriers. L’extraction des matières premières – des métaux dont l’industrie high-tech ne peut se passer – impacte forcément l’eau et le sol. C’est notamment le cas de l’étain, en Indonésie, ou du lithium, qui entre dans la composition des batteries. Ce dernier, outre la pollution qu’il génère, est au cœur des conflits régionaux au Congo oriental, où les belligérants cherchent à garder le contrôle des mines. Sur ce point, Acer, Lenovo, Samsung et Toshiba sont les groupes les plus préoccupés à développer des politiques d’achat respectueuses du développement social et durable. En revanche, inutile de se bercer d’illusions en matière de recyclage ou d’utilisation d’énergies renouvelables. Ces préoccupations en sont à leurs balbutiements chez Apple, inexistantes ailleurs. L’éthique comme argument de vente, ce n’est pas encore pour demain.
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