Néoculture
Des cultures exotiques dorénavant en Suisse
05 mars 2024

Impossible d’imaginer la cuisine italienne sans tomate ni l’indienne sans piment. Pourtant, il y a quatre siècles, l’une et l’autre étaient confinés aux Amériques. Quant à la patate douce et au pak-choï, qu’on trouvait importés en épiceries spécialisées, ils sont désormais cultivés localement et font partie de l’assortiment classique de nombreux supermarchés.
Les produits exotiques deviennent des cultures locales. On le doit, bien sûr en partie, au changement climatique, mais aussi et surtout à l’ingéniosité et à la curiosité de nos agriculteurs. À l’Agroscope de Changins, les recherches vont bon train sur de nouvelles variétés qui seront peut-être mieux adaptées au climat suisse dans cinq, dix ou vingt ans. Selon Hanni Rützler, experte autrichienne en tendances alimentaires citée dans Le Temps, les local exotics ne sont pas une simple mode passagère: ils vont prendre de l’ampleur.
On trouve en Suisse romande des agrumes et des kiwis (VD), des pois chiches et du riz (FR, VS), du quinoa (VD), du gingembre, du curcuma et de la citronnelle (GE), du poivre du Sichuan (VD), du safran (VS), bientôt aussi des cacahuètes (FR). Le soja local, qui auparavant servait surtout au fourrage animal, permet aujourd’hui de produire tofu et miso bio et locaux. On pourrait encore citer le succès récent du saumon (GR), du caviar (BE) ou des crevettes (AG).
Les avantages de l’adaptation locale de ces cultures exotiques sont multiples. Comme elles évitent les longs voyages, leur bilan écologique est meilleur. Leur proximité garantit leur fraîcheur, offrant des qualités gustatives et nutritionnelles bien supérieures. Et pour les maraîchers, c’est l’opportunité de diversifier gammes et revenus, et de s’adapter au réchauffement climatique. De leur côté, les consommateurs en quête de sens dans leur assiette peuvent s’offrir des voyages culinaires en toute bonne conscience.
RIZ DU VULLY (FR) | En 2019, la famille Guillod s’est lancée dans la culture de cette céréale «un peu par hasard». Entre terres argileuses très lourdes, difficiles à cultiver, terrains à côté du canal de la Broye et une proposition de l’Agroscope, les conditions étaient réunies pour démarrer une aventure innovante. La première année, les 800 kilos de riz sont partis très vite, les maraîchers se sont donc dit qu’il y avait un coup à jouer. En 2023, 25 tonnes ont été récoltées. En plus de la variété principale loto, les champs produisent désormais riz pour risotto et sushi, riz noir et jasmin. D’autres variétés seront testées cette année. Les Guillod sont fiers de leur rôle de pionniers, ils sont aussi ravis d’associer agriculture et protection de la nature. Les rizières offrent en effet refuge à de nombreuses variétés d’oiseaux, de reptiles et d’amphibiens. Ainsi, dans le cadre d’une collaboration avec le centre ornithologique de Sempach, une partie des terrains a été inondée en avance pour accueillir les vanneaux huppés, menacés d’extinction. Nichant au sol, ils sont protégés par la culture du riz! La céréale vulliéraine est plus chère qu’en supermarché. «Notre but est aussi de provoquer une réflexion sur la notion de prix juste, permettant aux agriculteurs de bien vivre et d’investir. Nos paquets l’expliquent», souligne Léandre Guillod.
CACAHUÈTES DE LA SINGINE (FR) | Tout a commencé face à une nécessité: avec la chute du prix de l’ail bio (près de 30% en un an), les infrastructures prévues pour le séchage n’étaient plus rentables. «J’aime les cacahuètes, je me suis alors demandé s’il était possible d’amener cette culture ici et d’utiliser nos installations», explique Daniel Schaller. Après s’être renseigné sur la culture, notamment aux États-Unis et en Australie, l’agriculteur a commandé des semis à l’étranger et s’est lancé sur une surface de 4000 m2 en 2023. «Ça a vraiment très bien fonctionné», se réjouit-il. Ce succès, il l’attribue à un été sec et chaud, mais aussi à une terre de qualité. En dix jours, toute la production de CHacahuètes avait trouvé preneur. Cette année, c’est 1 hectare (10 000 m2) qui y sera consacré. «Nos cacahuètes sont un peu plus petites que celles du commerce, mais elles ont un super goût. Les retours que nous avons eus sont excellents.» L’avantage de cette culture, c’est qu’elle n’a pratiquement pas besoin d’eau. «Nous effectuons les semis vers la mi-mai et la germination est très longue, car un gros travail se fait au niveau des racines, explique le Fribourgeois. Quand le plant fait 5 cm, ses racines en mesurent déjà 15!» Des projets, le passionné en a plein, comme celui de convertir les cacahuètes moins belles en beurre, afin de pouvoir valoriser l’entier de la production.
LÉGUMES DU MONDE DE BREMBLENS (VD) | En 2016, quand Mathieu et Marco Cuendet ont repris l’exploitation de leur père, ce dernier avait déjà développé des spécialités prisées des restaurants de la région: légumes anciens, minilégumes, fleurs comestibles, et une «saladine» composée de plusieurs variétés de pousses asiatiques. Les représentants de la quatrième génération sont animés du même feu: ils testent des espèces du monde entier, produisant plus de 300 variétés à l’année. La clientèle a adopté la poire de terre ou yakon (Pérou), le chouchou ou chayote (Amérique centrale), la mibuna (Japon), le persil mitzuba (Japon), les radis red, blue et green meat et misato (Asie mineure), le chou hon tsai tai (Chine), et les concombres kiwano, cocktail et citron (Chine). L’inspiration vient de leurs voyages mais aussi de leurs échanges avec les chefs qu’ils fournissent et une clientèle de passionnés. «Les gens sont friands de ce qui sort de l’ordinaire et adorent essayer de nouvelles saveurs. Comme la majorité de la production s’écoule en vente directe, au marché de Lausanne et à ceux à la ferme, on donne des recettes.»
Ce test est paru dans le magazine FRC Mieux choisir sous le titre «L'exotique, c'est local».
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