Marketing
Influence en ligne: les jeunes massivement exposés et pas suffisamment protégés
Une enquête menée pendant plusieurs mois par la FRC et d’autres associations de consommateurs en Europe montre l’étendue de la présence du marketing d’influence sur les plateformes en ligne. Les règles actuelles, lacunaires, laissent trop d’espace aux pratiques trompeuses.
15 décembre 2025
BEUC
Rebecca Eggenberger
Responsable Alimentation et Prévention
Laurianne Altwegg
Responsable Environnement
Sandra Imsand
Journaliste, responsable Enquêtes
Il est difficile aujourd’hui de passer à côté du marketing d’influence. Il suffit de quelques secondes sur les réseaux sociaux, Instagram, TikTok ou YouTube pour être exposé à une promotion plus ou moins dissimulée. La FRC a participé à une grande enquête qui permet de mieux comprendre comment les secteurs de la mode et de l’alimentaire encouragent la surconsommation et contournent la vigilance des consommateurs.
Le marketing d’influence est devenu l’un des leviers publicitaires les plus puissants dans le monde: en l’espace de 10 ans, ce marché est passé de 1,5 milliard à 28 milliards de francs selon une étude de la plateforme Statista. Entre mars et septembre 2025, 14 organisations de consommateurs de 12 pays d’Europe membres du BEUC (Bureau Européen des Unions de Consommateurs) ont analysé près de 650 contenus publiés sur TikTok, Instagram, YouTube et Snapchat. Deux secteurs à risque ont été étudiés: la fast fashion et les aliments et boissons trop gras, trop salés et trop sucrés.
De la publicité déguisée
En Suisse romande, les exemples sont parlants. La FRC a trouvé des contenus promouvant l’achat massif de vêtements d’enseignes ultra-fast-fashion, sans mention claire de partenariats rémunérés. Le phénomène est identique pour la nourriture: des vidéos mêlant défis, dégustations et recettes rapides mettent fréquemment en scène sodas, snacks sucrés ou produits transformés par des jeunes influenceurs. Ces contenus, souvent perçus comme innocents, relèvent pourtant d’une stratégie commerciale puissante.
L’enquête le prouve: les posts sponsorisés sont souvent «emballés» dans des recommandations personnelles, les codes promotionnels sont cachés dans les commentaires, et les termes utilisés pour signaler la publicité sont ambigus ou absents. La majorité du marketing d’influence échappe encore à la transparence minimale exigée par la loi.
Personnages colorés et festivals pour mettre en avant la fastfood
Les influenceurs jouent sur les émotions: peur de manquer, humour, proximité, spontanéité. Ces contenus créent un sentiment d’intimité qui endort l’esprit critique des internautes. Ils encouragent ainsi la surconsommation, en particulier les enfants et les adolescents.
Dans l’alimentation, les techniques relevées par la FRC et ses consœurs européennes sont les suivantes: visuels colorés, personnages animés, défis, dégustations, rabais et codes de réduction, contenus humoristiques, messages utilisant l’émotion («Fais-toi plaisir!») ou utilisation de contextes festifs pour faire la promotion d’aliments trop gras, trop salés et trop sucrés. Certains exemples relèvent la présence importante d’une chaîne de fastfood dans un événement de charité, l’influenceur associant la marque avec les notions de solidarité et de générosité, ce qui améliore son image auprès du public. Une tendance qui inquiète alors qu’en Europe, un tiers des enfants est obèse et que le lien entre surpoids et consommation d’aliments malsains est avéré.
La surconsommation est reine dans la fastfashion
Dans la mode, les hauls, à savoir des vidéos présentant le déballage de plusieurs articles achetés d’un coup, sont monnaie courante. Ils valorisent l’abondance, le renouvellement constant et encouragent l’achat impulsif. Les exemples relevés montrent également la promotion de dupes, des imitations bon marché des marques prestigieuses vendues par les plateformes à bas prix.
En Suisse tout comme en Europe, les garde-fous actuellement mis en place ne couvrent pas l’ensemble des acteurs: influenceurs, agences, marques et plateformes. Le manque de définitions juridiques précises, l’absence de responsabilité partagée et la difficulté à contrôler les contenus éphémères compliquent l’application de la loi, quand il y en a une. Les engagements volontaires, notamment en matière de marketing alimentaire auprès des enfants, se révèlent insuffisants. Par ailleurs, le mécanisme de marketing d’influence permet le Reputation washing, à savoir le fait d’améliorer l’image de sociétés responsables de contribuer à de graves problèmes de santé publique ou d’atteintes à l’environnement. Sur les réseaux, les consommateurs sont inondés de contenus qui normalisent des comportements nocifs. Ils peinent ensuite à identifier les pratiques problématiques.
Les recommandations de la FRC
- Inscrire une définition claire du marketing d’influence dans la législation suisse afin de lever les zones grises.
- Imposer une transparence standardisée, avec des mentions explicitement visibles et compréhensibles pour les jeunes.
- Mettre en place une responsabilité conjointe entre influenceurs, agences, plateformes et marques en cas de pratiques trompeuses.
- Envisager des interdictions ciblées, notamment pour la publicité d’aliments malsains destinée aux mineurs, à l’image de la Norvège.
- Obliger les plateformes à respecter leurs propres règles, aujourd’hui trop facilement et souvent contournées. Et prévoir des sanctions réellement dissuasives.
- Encourager l’éducation aux médias pour les jeunes: reconnaître la publicité, comprendre l’économie des créateurs, repérer les incitations.
- Interroger les contenus visionnés par les enfants: pourquoi cette vidéo existe-t-elle? Qui y gagne?
Ce que répondent les marques
Dans le cadre de cette enquête, la FRC a relevé des exemples frappants de marketing d’influence.
1) Publicité dissimulée pour Tally Weijl et Chicorée
Une influenceuse italienne suivie par 4 millions d’abonnés poste le message «Amusante, audacieuse, féminine... Elle me donne l'impression d'être invincible» en lien avec le compte Instagram de la marque suisse Tally Weijl. La mention #ad n’est visible qu’après avoir cliqué sur «voir plus», ce qui rend la nature publicitaire du message peu visible. On assiste ici à une tentative claire de masquer une collaboration, en violation avec les règles de transparence. Une situation comparable à celle de Chicorée, autre marque suisse, dont les partenariats avec des influenceuses mettant en avant ses nouvelles collections ne sont pas clairement indiqués.
2) Campagne Burger King sous forme de clip musical
Un jeune DJ suisse réalise un contenu rythmé, chanté, construit comme un clip. L’ambiance festive et humoristique incorpore les produits dans une mise en scène musicale très attractive pour les jeunes. La publicité est ainsi dissimulée dans du contenu divertissant.
3) McDonald’s et événements en point de vente impliquant des mineurs
McDonald’s invite un DJ de 14 ans, très suivi, à jouer dans des restaurants remplis de ballons et d’enfants, en présence d’un personnage Disney facilement reconnaissable. L’événement est relayé sur les réseaux sociaux, créant un lien direct entre restauration rapide et divertissement pour enfants. Le but est ici d’associer la chaîne de fastfood avec l’univers innocent des enfants.
4) Promotion de festivals sponsorisés par Coca-Cola
Pour le festival de musique Tomorrowland Winter 2025, dix influenceurs suisses relayent des contenus montrant boissons, invitations, scènes et remerciements au sponsor. Cette intégration lifestyle renforce l’image «cool» de la marque auprès d’un public jeune et ce marketing est très difficile à identifier comme étant commercial.
Interrogées sur leur responsabilité, les marques concernées bottent en touche. Burger King dit prendre «bonne note» des observations de la FRC. «La campagne mentionnée s’inscrivait dans une démarche de communication ponctuelle et ludique, visant à présenter un nouveau produit à travers un contenu musical original, répond l’attaché de presse. L’objectif était avant tout de mettre en avant le plaisir de partager un moment convivial autour de nos burgers, sans ciblage spécifique envers un public jeune.» La marque dit «demander à ses partenaires de respecter la législation et les recommandations en matière de transparence». Le porte-parole de Coca-Cola répond également que leurs «partenariats respectent l’ensemble des exigences légales relatives à la transparence et à la divulgation commerciale. Nous veillons, en interne comme avec nos partenaires, à ce que ces obligations soient suivies et appliquées correctement. Nous sommes conscients du rôle que joue le marketing dans les choix de consommation et nous nous engageons à communiquer de manière appropriée, responsable et conforme en tout temps.»
Pas de remise en question, mais une façon de se réfugier derrière des lois et des obligations qui ne vont pas assez loin pour protéger les consommateurs.
Ce que dit la loi en Suisse
La publicité par les influenceurs (peu importe sur quel sujet) peut, selon les circonstances, être sanctionnée comme pratique déloyale en vertu de la Loi fédérale contre la concurrence déloyale (LCD). En effet, celle-ci interdit la publicité dissimulée et le fait de tromper ou d’induire en erreur les consommateurs.
La Commission suisse pour la Loyauté (CSL) a déjà eu l'occasion de se pencher plusieurs fois sur des plaintes relatives à la publicité faite par des influenceurs: en résumé, la CSL retient qu'il n’existe pas d’obligation générale de préciser expressément qu'une publicité est rémunérée, tant que le partenariat est clairement identifiable comme tel compte tenu de toutes les circonstances concrètes. Le critère central étant de savoir comment le message est compris par le public ciblé par cette publicité, de l’impression générale que celle-ci laisse chez les consommateurs et de la nature du média.
Une motion demandant une loi spéciale sur le marketing d’influence a été rejetée l’année dernière.
Un espoir du côté du projet de loi sur les plateformes de communication et les moteurs de recherche (LPCom), actuellement en discussion au Parlement?
Voici ce qu’il prévoit:
- L’obligation pour ces plateformes de tenir un registre des publicités, y compris l'indication du motif pour lequel une publicité a été retirée ou bloquée.
- L’obligation de prévoir un mécanisme de signalement de «certains» contenus illicites (selon une liste très limitée, qui ne contient notamment pas l'escroquerie !)
- L’obligation de rendre un rapport annuel sur l'évaluation des risques, dont la diffusion de contenus probablement illicites
- L’obligation de nommer un représentant juridique.
MAIS pas d’obligation de prendre des mesures par rapport aux contenus jugés risqués, ni d'obligation stricte de respecter le droit suisse ou de collaborer vraiment avec ses autorités (par exemple pénales).
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