Cosmétiques

Chimiste cantonal: dans l’antre secret des «Experts» de la consommation

Parmi les missions des laboratoires cantonaux, la recherche de substances indésirables dans les cosmétiques tient une place importante. Illustration à Genève, avec l’analyse d’un mascara.
Santé

Archive · 27 août 2019

Appareils de mesure ultraperfectionnés, instruments de précision, fioles arborant des noms énigmatiques: le lieu a tous les attributs d’un laboratoire de chimie. Mais un regard dans le fond de la pièce sème le doute: ici se côtoient tas d’animaux en peluche bariolés, assortiments de broches en métal pour barbecue et tubes de cosmétiques en tous genres. Une vraie caverne d’Ali Baba aux murs blancs. «C’est qu’ici nous sommes dans la salle des instruments. Elle fait aussi office de lieu de dépôt des échantillons», éclaire le Dr Aurélie Bugey, chimiste-cheffe du secteur objets usuels et métaux du Service de la consommation et des affaires vétérinaires (SCAV) du canton de Genève.

Le champ d’application de son département est vaste, puisqu’on y contrôle les objets entrant en contact avec la peau, les muqueuses et les denrées, soit principalement les cosmétiques, les vêtements, les bijoux, les contenants alimentaires et les jouets.

Composants nocifs dans le viseur

Reste que quel que soit l’objet analysé, le but de son équipe de cinq personnes demeure le même: vérifier la sécurité du produit. «Dans les peluches, on va éprouver la résistance des petites pièces ainsi que l’inflammabilité. Dans les broches, on va analyser la migration de substances dans les aliments. Et dans les cosmétiques, on va s’orienter vers la recherche de molécules allergisantes, de perturbateurs endocriniens ou de substances dites CMR, pour cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques.» En l’occurrence, l’analyse du jour porte sur la teneur en nitrosamines d’un mascara.

Ces composants cancérogènes interdits dans les cosmétiques ont pour particularité de ne pas apparaître dans la liste d’ingrédients. «Il s’agit de sous-produits réactionnels de la triéthanolamine entrant parfois dans la composition du mascara. Lorsque nous repérons cette substance, nous sommes à même de suspecter la présence de nitrosamines », explique Aurélie Bugey en présentant une grosse loupe. Cet outil est essentiel dans l’analyse préalable des emballages: la responsable l’a hérité de son prédécesseur, qui l’a également reçu du précédent, etc. Nul ne connaît son âge, mais son aspect rétro laisse présager une histoire longue de plusieurs décennies.

Elle ajoute: «Si vous connaissez la série Les Experts, ça vous donne une idée de notre manière de travailler, même si c’est très romancé.» En réalité, les laborants passent de moins en moins de temps à manipuler pipettes et éprouvettes, au grand dam de certains: «En quinze ans, on a vu les traitements informatiques prendre de plus en plus de place. Aujourd’hui, nous ne vous montrerons rien de spectaculaire. Revenez lorsque nous testerons l’inflammabilité des peluches: c’est très joli à voir!»

Urgences douanières

Chaque année, le service planifie des campagnes d’analyses. Pour faire ses choix, il se base sur une étude de risques ainsi que sur la mode et l’actualité. «Pour les cosmétiques, nous ciblons aussi spécialement les produits pour enfant. Il faut dire que plus tôt un petit est exposé à des composés problématiques, plus il a de risques de développer une pathologie en grandissant. Or les jeunes sont inondés de produits contenant ces substances-là.» En parallèle au travail organisé, le service doit également se tenir à la disposition des douanes. «Leurs demandes sont prioritaires, nous devons les traiter immédiatement. Il nous arrive par exemple d’examiner des crèmes blanchissantes susceptibles de contenir de l’hydroquinone, une substance interdite en Suisse. Pour ces produits, le taux de non-conformité frôle le 100%!» Plus généralement, lorsque la santé est mise en danger, le SCAV impose à l’importateur de retirer le produit du marché suisse. Ce qui donne parfois lieu à une opposition: «Dans ces caslà, les responsables sont convoqués pour être entendus et chacun expose ses arguments. Le SCAV décide ensuite s’il maintient sa décision, la modifie ou la retire. En cas de désaccord, c’est la justice qui tranche. Mais c’est une situation heureusement très rare.»

Et notre mascara bleu électrique, alors, contient-il des nitrosamines et s’avère-t-il, ce faisant, non conforme? «Désolée, mais nous sommes soumis au secret de fonction. Même en ne citant pas la marque, nous pourrions avoir de sérieux problèmes si quelqu’un reconnaissait le flacon ou la brosse! Nous sommes par contre à même de vous dire que le taux de non-conformité de ces articles (8%) reste assez faible. Avec cependant des teneurs très élevées – jusqu’à 60 fois la valeur décisionnelle – dans des références d’origines très variées, couvrant aussi bien les marques de luxe, de grande distribution et d’enseignes à bas prix.» Le voile n’est donc pas tout à fait levé, mais que l’on se rassure, le SCAV veille: «Cette année, nous avons recherché des nitrosamines dans pas moins de 100 maquillages pour les yeux différents.»

Histoire d’une analyse

La FRC a suivi à la trace les chimistes Aurélie Bugey et Ngoc Huy Ho, son adjoint, dans leurs moindres faits et gestes. Le mode opératoire ressemble à une recette de cuisine à suivre à la lettre. «Aucun freestyle, nous sommes toujours susceptibles d’être contrôlés. Nous vérifions également nos instruments à intervalles réguliers. »

 

 

 

 

 

 

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