5.7.2016, Barbara Pfenniger / Demandez d’où viennent les graines. Souvent seuls l’huile et le vinaigre sont locaux. Gayvoronskaya_Yana/shutterstock.com
Côtelettes et saucisses ont une saveur particulière rehaussées d’une pointe piquante. Histoire, provenance, recette...
Celle qui relève si bien mets, sauces et grillades nous vient de loin. Elle est cultivée depuis des milliers d’années, et pourtant sa recette a peu évolué à travers les âges, malgré les multiples propositions vendues désormais dans le commerce: à l’échalote, au cassis ou au miel.
HISTOIRE | On retrouve la plante de moutarde, ou sénevé, chez les Sumériens 3000 ans av. J.-C. Egyptiens, Grecs et Romains ont suivi, ces derniers ayant probablement introduit en Gaule l’usage culinaire de mustum ardens, le moût brûlant en latin. La moutarde était produite partout où poussaient la vigne et le sénevé.
PROVENANCE | Quand les vignes françaises ont été décimées par le phylloxéra, un insecte ravageur, en 1890, la production s’est repliée sur les quelques régions épargnées, dont la Bourgogne et sa capitale Dijon: 95% de la moutarde française y est encore produite. Pourtant, sa culture faillit être abandonnée en raison de son rendement, faible, et de subventions agricoles favorisant le colza. Actuellement, la part des graines locales représente 30%, le reste étant essentiellement importé du Canada. Garanti sans OGM.
INDUSTRIE DIJONNAISE | Trois multinationales se partagent le marché: Amora-Maille (Unilever), Reine de Dijon (Develey Senf & Feinkost), Européenne des condiments (Kühne). En quatrième position, l’entreprise familiale Edmond Fallot, à Beaune, se distingue par son mode de production (meule de pierre) et par sa recette (moins d’eau ajoutée). La moutarde de Dijon, elle, n’est plus une recette intimement liée à un lieu.
PRODUCTION ARTISANALE | En France comme en Suisse, de petits artisans ont renoué avec la tradition locale: l’huile et le vinaigre de vin sont faciles à trouver à proximité. Mais très peu recourent aux graines suisses de moutarde. Ici, la culture de sénevé sert principalement d’engrais vert. Que vous achetiez vos pots au marché, dans les épiceries fines ou sur internet, demandez donc toujours la provenance des graines. En effet, la pâte élaborée dans la cuisine d’une ferme ou dans une plus grande structure comme l’Abbaye de la Fille-Dieu à Romont (FR), est rarement gratifiée d’une étiquette labellisée (p. ex. Genève Région-Terre Avenir ou médaillé du Concours suisse des produits du terroir).
RECETTE | Pour obtenir une pâte relevée, il faut comme ingrédients de base des graines de moutarde, de l’eau, du vinaigre et du sel. On peut y ajouter des épices, des herbettes (estragon, ail des ours), l’huile de son choix ou tout autre ingrédient selon sa fantaisie. En revanche, on se passe aisément de sucre et de sulfites.
LE SAVIEZ-VOUS? | La moutarde fait partie des 14 allergènes qui figurent obligatoirement sur l’étiquette. Ceci étant, tout est bon dans le sénevé: on peut en manger les feuilles, source de nutriments intéressants pour la santé, en légume ou en salade, ou utiliser les graines en cataplasmes en cas d’affections des bronches.
Une moutarde 100% locale, une rareté
La FRC aime les produits de proximité, c’est connu. Et la moutarde ne fait pas exception. Visite chez Daniel Tremblet des Oulaines à Genève, un des seuls producteurs à élaborer un condiment entièrement suisse.
Comment vous est venue cette idée?
Notre domaine produit du vin et du colza. En 2008, mes amis ont plaisanté en déclarant que dans la mesure où j’élaborais déjà du vinaigre et de l’huile, il ne manquait plus que la moutarde pour faire une vinaigrette! Je me suis donc lancé. Dans un premier temps, j’ai utilisé des graines importées, puis j’ai effectué mes premiers essais avec des graines de moutarde issues du jardin familial. Aujourd’hui, nous en cultivons 1,5 hectare. Toute la famille met la main à la pâte pour élaborer la moutarde, développer de nouvelles recettes et la vente. Notre but est de valoriser un maximum de produits de notre ferme nous-mêmes, c’est le seul moyen pour que la moutarde suisse soit concurrentielle avec celle en provenance du Canada.
Comment est cultivée la moutarde?
En principe, cultiver de la moutarde c’est facile. Toutefois, la plupart des producteurs ne récolte pas les graines mais utilise la plante entière comme engrais vert. Les graines sont semées au printemps après destruction de la couverture du sol par broyage. La culture extensive est traitée ni avec des pesticides ni contre les maladies. Enfin, entre fin août et début septembre, nous récoltons entre 200 et 1400 kg par hectare, une quantité qui doit nous suffire pour une année. Après la récolte, nous donnons nos graines à nettoyer et à trier pour enlever les mauvaises herbes. Cela nous permet de les conserver sans utiliser de gaz de stockage.
Comment assurez-vous la production?
Nous produisons de la moutarde aux graines jaunes et noires, plus fortes. Nous préparons ces produits au fur et à mesure, durant un à deux jours chaque mois, afin d’en assurer la fraîcheur. Notre particularité: les graines sont concassées et non moulues, de manière à rester le plus naturel possible.
Vos bocaux arborent le logo Genève Région-Terre Avenir, ainsi qu’une médaille d’argent du concours suisse des produits du terroir. Quelle est en la signification?
Les deux initiatives exigent des ingrédients de proximité. Pour obtenir le label genevois, il est impératif que 100% des ingrédients proviennent de la région, sauf autorisation spéciale qui permet 10% de produits suisses. Tous les produits transformés sont dégustés avant attribution du label. Une analyse organoleptique encore plus poussée a lieu durant le Concours suisse des produits du terroir. Les produits médaillés doivent sortir du lot… Nous sommes ravis d’avoir tapé dans l’œil du jury.
Pour en savoir plus:
Le concours : http://www.concours-terroir.ch/marche-et-concours/presentation
GRTA : http://www.geneveterroir.ch/fr/content/label-garantie
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