Risque-t-on une pénurie énergétique à court terme?
Non. Chargé de garantir la disponibilité des biens et services vitaux et de prendre des mesures en cas de pénurie, l’Office fédéral de l’approvisionnement économique du pays (OFAE) indique sur son site que l’approvisionnement du pays est actuellement assuré (voir aussi l’analyse de la situation du 8.06.2022). Toutefois, « il est indéniable que la Suisse est dépendante sur le plan énergétique. Ne disposant pas de réserves de gaz naturel, elle s’approvisionne à l’étranger, notamment en Russie, qui fournit près de la moitié de la consommation du pays. Une partie de ce gaz transite par les gazoducs traversant le territoire ukrainien. »
Si elle ne possède pas de réserves de gaz, la Suisse dispose en revanche d’une réserve obligatoire de mazout extra-léger servant de substitut en cas de pénurie grave. Ces réserves permettent de couvrir les besoins du pays pendant 4,5 mois.
Côté électricité, les risques de pénurie et les prix augmentaient déjà avant l’invasion de l’Ukraine, qui est venue accentuer cette situation. Les travaux s’accélèrent donc pour prévoir les mesures destinées à permettre de disposer de réserves aussi dans ce domaine (hydraulique, voire gaz) à l’avenir et surtout pour l’hiver prochain. D’autres dispositions sont aussi en discussion au Parlement pour prévoir une aide aux entreprises indispensables au fonctionnement du secteur électrique si celles-ci venaient à être en danger.
En ce qui concerne le pétrole, la Suisse est dépendante de ses importations depuis l’Union européenne. Or, la plupart des pays de l’UE importent du pétrole brut et des produits pétroliers depuis la Russie dans des proportions variées. Surtout, comme l’Union européenne, la Suisse a décidé de se passer de la quasi totalité des produits pétroliers russes d’ici la fin de l’année. Selon l’OFAE, cela pourrait rapidement engendrer des difficultés d’approvisionnement pour la Suisse. Malgré cela et bien que le niveau des stocks soit faible et la situation volatile, l’office fédéral estime que l’approvisionnement de la Suisse en produits pétroliers est pour l’instant assuré (état juin 2022).
Quelles conséquences sur le prix de l’essence?
Déjà avant mars 2022, le prix du baril de Brent (pétrole brut de mer du Nord) s’envolait en raison de la forte demande liée à la reprise économique. Bien que le pétrole russe ne représente que 10% des produits pétroliers commercialisés en Suisse, la guerre en Ukraine a accentué l’envolée du prix du baril de Brent qui avoisine les cent dollars aujourd’hui (12.04.2022) selon Avenergy. C’est 40% de plus qu’il y a deux ans à la même époque de l’année.
Quelles conséquences sur le prix de l’essence? Certains spécialistes estiment qu’une augmentation de dix dollars du prix du baril résulte sur une hausse de dix centimes par litre d’essence à la pompe. Car celui-ci ne dépend pas uniquement du brut. Grossièrement, il peut être décomposé comme suit :
- Prix du produit négocié sur le marché de Rotterdam et influencé par le cours du dollar (USD)
- Coûts de raffinage, de transport et de distribution
- Marge commerciale
- Impôt et surtaxe sur les huiles minérales (76,82 centimes pour l’essence sans plomb et 79,57 centimes pour l’huile diesel)
- TVA (7,7%)
Ainsi, le prix du pétrole n’influence que la partie hors taxes et hors marge du prix à la pompe. Pour l’heure, ce dernier a certes augmenté, mais en raison de la composition du prix présentée ci-dessus, les hausses restent relativement contenues.
Quelles solutions peuvent être envisagées contre les hausses de prix?
Chaque secteur n’est pas concerné dans la même mesure par la hausse des prix. Dans le domaine du gaz comme des carburants, les hausses sont déjà conséquentes et ressenties par les ménages comme les entreprises. Dans le domaine de l’électricité, les clients dans l’approvisionnement de base ne verront leur facture augmenter qu’à partir de 2023. Une évaluation de la Commission fédérale de l’électricité estime que la composante « énergie » de la facture augmentera de 45% en moyenne, faisant passer le prix du kilowattheure de 21ct aujourd’hui à 25ct en 2023. Les hausses pour les consommateurs suisses sont heureusement plus contenues qu’en Belgique, en Grèce et en Italie qui ont vu l’électricité augmenter de 80% en 2022 par rapport à 2021.
Cette situation suscite toutefois de fortes craintes du côté de la population comme des entreprises. Raison pour laquelle des mesures de soutien sont à l’étude au niveau fédéral. Un groupe de travail interdépartemental a ainsi été mis en place, lequel « examine les champs d’action possibles de la Confédération sous l’angle des éventuelles mesures à prendre, de leur financement et de leurs conséquences. » Reste que ce groupe de travail n’a rien publié à ce jour, alors que les demandes d’aides se multiplient.
Pour limiter les effets de ces hausses de prix en l’absence de mesures, la FRC recommande à chacun la mise en place des écogestes publiés sur cette page. A moyen terme, elle préconise des investissements massifs dans la transition énergétique, afin de limiter autant que possible la dépendance aux énergies fossiles. En revanche, elle estime que pour soutenir les personnes ou entreprises les plus touchées, de simples rabais sur les prix à la pompe, augmentation de déductions fiscales ou réduction de taxes sur les combustibles ne seraient pas souhaitables. Ce principe d’arrosoir est en effet inefficace: non seulement il ne cible pas les personnes les plus touchées, mais il encourage de plus la consommation de carburants et combustibles fossiles, un signal malvenu dans le contexte climatique actuel.
Des aides plus ciblées et plus respectueuses du climat pour les personnes disposant de peu de moyens ou à destination des PME les plus touchées seraient ici préférables. Concernant les combustibles, cela peut par exemple prendre la forme de chèques-énergie, à l’instar de ceux offerts en France ou en Allemagne aux contribuables les plus modestes pour lutter contre la précarité énergétique. Des rabais sur les transports publics sont une autre solution efficace pour contrer le prix élevé des carburants, tout comme des aides financières ciblées pour les personnes qui habitent dans des zones mal desservies. L’Autriche propose ainsi un billet à 1130 fr. (1095 euros), permettant de circuler pendant un an sur les lignes publiques de bus et de train du pays. En Suisse, l’abonnement général 2e classe coûte 3860 fr.. C’est 241% de plus. En parité de pouvoir d’achat (considérant que le PIB/hab est 80% plus élevé en Suisse) si on suivait le modèle Autrichien l’AG devrait passer à 2000 francs / an (soit diminuer quasi de moitié).
Risque-t-on une pénurie alimentaire?
Non. Le Département fédéral de l’économie a indiqué que la Suisse était peu dépendante de l’Ukraine et de la Russie dans le domaine alimentaire. Ainsi, rapportés au volume total des importations par produit, seuls 2% des céréales, 4% des fourrages et 4,5% des huiles et graisses végétales importés en Suisse proviennent de ces deux pays.
Quels effets indirects peut-on craindre dans le domaine alimentaire?
La FRC veille à éviter un affaiblissement des règles de la législation fédérale.
Plusieurs pays européens sont en train de mettre en place un système pour faciliter le remplacement de l’huile de tournesol ukrainien par d’autres matières grasses dans les aliments transformés. La FRC demande que les consommateurs soient correctement informés de ce genre de changement de recette. Les autorités devraient avoir une vue d’ensemble de ces changements.
Certaines organisations, comme les producteurs de porcs espagnols, ont demandé d’assouplir les exigences concernant les résidus phytosanitaires pour l’importation de maïs du Brésil et d’Argentine en remplacement aux importations d’Ukraine et de Russie. La FRC demande de maintenir les limites actuelles et de ne pas assouplir les valeurs maximales, notamment pour les denrées alimentaires, ni pour les résidus phytosanitaires ni pour les OGM.
La FRC et ses consoeurs du SKS et de l’ACSI ont écrit à l’OSAV concernant ces éléments. Elle a ensuite participé aux négociations lors d’une table ronde organisée par l’OSAV puis répondu à la consultation sur la modification des ordonnances liées au droit alimentaire.
Le boycott est-il un outil adéquat pour soutenir l’Ukraine?
Pas forcément. Pour fonctionner, le recours aux boycotts de consommateurs devrait se concentrer sur des cas et situations très précis: produits facilement substituables, marchés concurrentiels, visibilité des produits boycottés et des substituts éventuels, base de boycotteurs potentiels suffisamment large.
Les entreprises n’ont-elles pas une responsabilité?
Les entreprises ont une responsabilité. Elles ne doivent pas profiter de la hausse des prix pour augmenter leurs marges ni réaliser des bénéfices indus dans les pays en guerre.