9.7.2024, Laurianne Altwegg & Rebecca Eggenberger
Être le détaillant numéro un en Suisse n’implique-t-il pas d’assumer certaines responsabilités vis-à-vis de la collectivité? Visiblement pas.
Placée au 41e rang des plus grands détaillants mondiaux, Migros partage avec Coop les trois quarts du marché de l’alimentation. Ce privilège lui donnerait le pouvoir d’influencer le marché en prenant des mesures pionnières au niveau social comme environnemental. À l’inverse, Migros lâche une bombe en renonçant au Nutri-score. L’explication est laconique: «L’expérience a montré que son utilité est trop faible au regard des coûts élevés qu’il implique.»
Lorsque, en 2021, Migros appose le Nutri-score sur ses produits, elle s’engage en faveur du besoin de transparence et d’information des consommateurs. Nestlé et le géant orange deviennent alors des moteurs dans l’implémentation de cet indicateur en Suisse. En faisant machine arrière au motif de vouloir réaliser des économies sur la production des emballages, elle envoie un message fort: la santé de la population ne fait pas le poids! Cette décision a d’ailleurs été déplorée par l’Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires, qui soutient le Nutri-score. De leur côté, la FRC et ses consœurs ACSI et Konsumentenschutz ont exprimé leur profond désaccord à Migros.
«Ces remaniements stratégiques montrent une Migros davantage intéressée par ses marges que par la durabilité ou la santé de la population.» Laurianne Altwegg, responsable Environnement
Sur le fond, difficile de comprendre les véritables raisons de cette décision et surtout de la «nouvelle stratégie» de Migros. Les motifs économiques ne sont pas seuls à avoir joué un rôle. Le géant orange était en effet très avancé dans le déploiement du Nutri-score et avait investi des moyens considérables. Revenir en arrière engendrera assurément un surcoût. La pression politique exercée par certains milieux économiques et agricoles puissants fermement opposés à l’indicateur a certainement aussi pesé. Fort heureusement, d’autres continuent à faire confiance au Nutri-score. Nestlé et plus de 90 autres fabricants y restent fidèles, et Valora (K-Kiosk, Caffè Spettacolo, boutiques Ditsch et Brezelkönig) vient de l’adopter.
Désengagement généralisé
La nouvelle ligne stratégique de Migros touche d’autres domaines. Sans complexe, Christopher Rohrer, pourtant responsable de la durabilité, annonçait dans la presse que le prix serait désormais au centre des préoccupations du groupe. Affichant son désaccord avec ses prédécesseurs, il affirmait aussi que le développement durable aurait «moins de place dans le marketing» et que le groupe privilégierait le fait d’«avoir un impact réel en arrière-plan» aux «belles campagnes de marketing».
Au moins, cette déclaration permettait d’espérer voir disparaître les slogans clinquants exagérant les atouts écologiques de certains articles. Las, le greenwashing garde de beaux jours devant lui. Preuve en est le remaniement complet de la gamme des détergents écologiques du distributeur: la marque Nature Clean remplace désormais Plus Oeco Power, et son logo affublé d’une feuille se décline sur des emballages… entièrement verts.
Ni moins cher, ni plus écolo
Quant aux prix, les promesses de baisse de Migros ne concernent visiblement pas ce segment de l’assortiment. Si certains sont restés identiques, nombre d’emballages sont aussi devenus plus petits et donc plus chers, notamment les pastilles ou le liquide vaisselle (photos).
Confirmer que des augmentations de prix sont intervenues au moment du changement de marque est toutefois difficile: certains articles ont été remplacés par d’autres plus chers, mais pas strictement comparables; et comme pour d’autres cas de shrinkflation, la FRC ne dispose pas du prix pratiqué juste avant le reconditionnement. Reste que ces articles ont fortement renchéri depuis nos relevés en 2021. Au lieu de baisser ses prix, Migros a donc investi dans le remaniement de sa gamme.
Côté environnement, le client se voit très souvent vendre le même produit que par le passé dans de plus petits emballages, ce qui le contraint à en acheter plus souvent. Plus de plastique et de trajets: il n’y a donc pas de progrès.
Quel avenir pour les valeurs du géant orange?
Selon ses propres statuts qui ont force obligatoire, la société coopérative est censée être au service de l’homme et, à ce titre, «consciente de ses responsabilités vis-à-vis de ses coopérateurs, clients, collaborateurs (…) et de la collectivité». Le détaillant s’engage aussi à militer en faveur d’une économie de marché prônant «l’éthique et le respect de l’environnement» et à contribuer «à la santé de la population».
Supprimer le Nutri-score et revoir les ambitions écologiques à la baisse semblent confirmer un changement de paradigme, d’ailleurs annoncé lors de la conférence de presse sur le bilan 2023 du groupe. Mario Irminger, nouveau PDG, avait rappelé: «Fondamentalement, nous sommes des commerçants». Profit ou engagement sociétal, le choix du groupe est fait. Qu’en dira sa clientèle?